CEDH : changement de prénom d’une personne transsexuelle

La requérante est une ressortissante italienne qui fut inscrite sur les registres de l’état civil comme étant de sexe masculin. Considérant toutefois que son identité sexuelle était féminine, elle mena une vie sociale en tant que femme, sous le prénom choisi par elle, sous lequel ses collègues de travail la connaissaient, et sur la photographie de sa carte d’identité, éditée en 2000, son apparence était celle d’une femme. Elle entama un traitement hormonal féminisant dans le cadre de sa transition sexuelle et fut autorisée par le tribunal civil de Rome à recourir à une opération chirurgicale de conversion sexuelle. En attendant son opération, elle demanda au préfet de Rome le changement de son prénom, précisant que compte tenu de son aspect physique, l’indication d’un prénom masculin sur ses documents d’identité était un motif d’humiliation et d’embarras permanent. Le préfet refusa et la requérante dut attendre que le tribunal constate la réalisation de l’opération et se prononce définitivement sur son identité sexuelle.

Si les instances nationales ont adopté une décision favorable à la requérante en lui accordant l’autorisation de changement de nom sollicitée, la Cour ne saurait ignorer que la situation litigieuse à l’origine de la présente requête, à savoir l’impossibilité pour la requérante d’obtenir le changement de nom en raison du refus des instances judiciaires, a perduré pendant plus de deux ans et demi. Aussi, l’autorisation accordée à la requérante ne saurait non plus être interprétée comme une reconnaissance, en substance, d’une violation de son droit au respect de la vie privée. Il convient dès lors de conclure que la requérante peut se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

La Cour réaffirme que, dans le domaine de la réglementation des conditions nécessaires pour le changement des noms des personnes physiques, les États contractants jouissent d’une large marge d’appréciation. Tout en rappelant qu’il peut exister de véritables raisons amenant un individu à désirer changer de nom ou de prénom, la Cour répète que des restrictions légales à pareille possibilité peuvent se justifier dans l’intérêt public, par exemple afin d’assurer un enregistrement exact de la population ou de sauvegarder les moyens d’une identification personnelle et de relier à une famille les porteurs d’un nom donné.

La question principale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, compte tenu de la marge d’appréciation dont elle disposait, l’Italie a ménagé un juste équilibre dans la mise en balance entre l’intérêt général et l’intérêt privé de la requérante à ce que son prénom corresponde à son identité de genre.

La Cour est appelée à déterminer si le refus des autorités d’autoriser la requérante à changer de prénom au cours du processus de transition sexuelle et avant l’aboutissement de l’opération de conversion a constitué une atteinte disproportionnée au droit de celle-ci au respect de sa vie privée.

La Cour souligne qu’elle n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales et, dès lors, ne met pas en cause le choix du législateur italien en soi de confier à l’autorité judiciaire plutôt qu’à l’autorité administrative les décisions en matière de changement de registre d’état civil des personnes transsexuelles. De plus, la Cour admet pleinement que la préservation du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, de la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil et, plus largement, de l’exigence de sécurité juridique relève de l’intérêt général et justifie la mise en place de procédures rigoureuses dans le but notamment de vérifier les motivations profondes d’une demande de changement légal d’identité.

Toutefois, elle ne peut que constater que le rejet de la demande de la requérante a été basé sur des arguments purement formels ne prenant nullement en compte la situation concrète de l’intéressée. Ainsi, la Cour voit mal quelles raisons d’intérêt général ont pu empêcher pendant plus de deux ans et demi la mise en adéquation du prénom figurant sur les documents officiels de la requérante avec la réalité de la situation sociale de celle-ci, pourtant reconnue par le tribunal civil de Rome dans son jugement du 10 mai 2001. Elle réitère à ce propos le principe selon lequel la Convention protège des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs.

La Cour se réfère à la Recommandation CM/Rec (2010) sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, dans laquelle le Comité des Ministres a préconisé aux États de permettre le changement de nom et de genre dans les documents officiels de manière rapide, transparente et accessible.

Compte tenu de ce que précède, la Cour considère que l’impossibilité pour la requérante d’obtenir la modification de son prénom pendant une période de deux ans et demi au motif que son parcours de transition ne s’était pas conclu par une opération de conversion sexuelle s’analyse, dans les circonstances de l’espèce, en un manquement de l’État défendeur à son obligation positive de garantir le droit de l’intéressée au respect de sa vie privée.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

 

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