La loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, a permis aux parents d’attribuer à leurs enfants le nom du père, le nom de la mère ou le nom des deux parents selon un ordre librement choisi. L’entrée en vigueur de cette loi a été fixée au 1er janvier 2005. Un régime transitoire a été prévu pour les enfants nés avant cette date.
Les enfants requérants, nés en 1986 et en 1989, ne remplissaient pas les conditions fixées par la loi.
La cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) estime que la différence de traitement dont les requérants ont fait l’objet était raisonnable et justifiée par la nécessité d’assurer la transition dans le temps des règles de dévolution du nom de famille et par la légitimité du choix de tenir compte du respect des principes de sécurité juridique et d’immutabilité du nom.
En l’espèce, Luc D, de nationalité belge, est marié à Jossia B, épouse D, de nationalité française. L’un et l’autre sont les parents de deux filles, Aurore et Aëla, nées respectivement le 1er janvier 1986 et le 22 juin 1989. Elles furent inscrites à leur naissance au registre d’état civil sous le nom de leur père. Leurs parents décidèrent de leur donner comme nom d’usage, comme la loi les y autorisait, le patronyme du père suivi de celui de son épouse (D-B).
La loi du 4 mars 2002 a permis aux parents de donner à l’enfant le nom du père, celui de la mère ou les deux noms accolés dans l’ordre librement choisi. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2005. Pour les enfants nés avant cette date, le législateur a aménagé un régime transitoire qui a permis aux parents de demander l’adjonction en deuxième position du nom du second parent, lorsque l’aîné des enfants avait moins de 13 ans au 1er septembre 2003.
Le 15 juin 2003, M. D déposa, au nom et pour le compte de ses deux filles, une requête en changement de nom pour obtenir l’inscription de celles-ci au registre de l’état civil sous le nom de D-B. Le garde des Sceaux rejeta la requête pour défaut d’intérêt légitime.
Le 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête des requérants contre le refus qui leur avait été opposé, rejet que la cour administrative d’appel de Paris confirma. Le 30 décembre 2009, le Conseil d’État rejeta le pourvoi des requérants.
Par suite, la requête a été introduite devant la CEDH le 30 juin 2010.
Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), combiné avec l’article 14 (interdiction de la discrimination), les requérants soutenaient que la différence de traitement fondée sur le sexe des parents pèse sur le droit de leurs enfants d’adjoindre le nom maternel à leur patronyme et maintient la discrimination qui existait avant la loi du 4 mars 2002. Ils se plaignaient également de ne pouvoir bénéficier, du fait de leur date de naissance, du régime transitoire prévu par la loi.
S’agissant du grief tiré de la discrimination entre hommes et femmes pour la dévolution du nom de famille aux enfants, la CEDH estime que Luc D ne saurait se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. Ses filles ayant reçu son nom de famille selon le régime antérieur à la loi du 4 mars 2002, il ne saurait se plaindre de l’impossibilité de transmettre à l’enfant le nom de la mère et ne peut donc se dire victime d’une différence de traitement fondée sur le sexe. La Cour relève à cet égard que l’épouse de Luc D n’était pas partie à la procédure de changement de nom devant les juridictions nationales, ni requérante devant la Cour.
S’agissant du grief tiré d’une discrimination fondée sur la date de naissance, la CEDH observe que le législateur a décidé que la loi ne devait s’appliquer qu’aux enfants nés après le 1er janvier 2005 et qu’il a prévu un régime dérogatoire qui ne s’applique pas aux enfants nés avant le 1er septembre 1990. Les requérantes, nées respectivement le 1er janvier 1986 et le 22 juin 1989, ne pouvaient donc pas bénéficier de ces dispositions et leur situation était régie par le droit antérieur qui n’autorisait pas l’adjonction du nom de la mère.
La Cour observe que l’application dans le temps de la loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, relative à la dévolution du nom de famille telle qu’aménagée par les dispositions transitoires, résulte d’une mise en balance entre le principe de l’immutabilité de l’état civil et l’intérêt des enfants à compléter le nom transmis à la naissance.
Elle estime que les modalités du système transitoire retenues par le législateur (distinction entre les enfants âgés de moins et de plus de 13 ans) ne sauraient pour autant passer pour arbitraires. En effet, le critère de l’âge, fixé par le législateur, coïncide avec le droit octroyé à l’enfant mineur de plus de 13 ans de consentir au changement de son nom. Dès lors, la distinction entre enfants âgés de moins ou de plus de 13 ans ne saurait passer pour arbitraire.
En dernier lieu, la CEDH observe :
- d’une part, que la cour administrative d’appel a jugé justifiée l’atteinte aux articles 8 et 14 de la convention. Elle a considéré en effet que le droit antérieur s’appliquait d’une manière identique à toutes les personnes placées dans la situation des requérantes du fait de leur date de naissance. Elle a jugé que le choix des modalités du système transitoire était motivé par l’impératif de sécurité juridique de l’état civil ;
- d’autre part, que les requérants ont usé de la possibilité que leur offrait le droit interne d’intenter une procédure en changement de nom. Les deux enfants ont utilisé leur nom d’usage tout au long de leur scolarité et n’allèguent pas être dans l’impossibilité de pouvoir continuer à le faire.
La Cour estime que la différence de traitement dont les requérants ont fait l’objet était raisonnable et justifiée par la nécessité d’assurer la transition dans le temps des règles de dévolution du nom de famille et par la légitimité du choix de tenir compte du respect des principes de sécurité juridique et d’immutabilité du nom. Les conséquences de la différence de traitement en cause n’étaient pas disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi.
La CEDH a donc déclaré à l’unanimité la requête irrecevable.