Pour son premier « Petit-Déjeuner du Notariat », organisé le 10 décembre dernier, l’association du master 2 droit notarial de l’université Paris II Panthéon-Assas avait choisi pour thème L’office notarial augmenté ou le notaire à distance. Présidé par le professeur Michel Grimaldi, il a été animé par Alain Lambert, ancien ministre du Budget et président honoraire du Conseil supérieur du notariat (CSN), et Bernard Reynis, conseiller à la Cour de cassation et également président honoraire du CSN.
Alors que le premier acte authentique à distance vient d’être signé en octobre 2018, les intervenants s’interrogeaient sur le principe même de l’authenticité et sur la nécessité pour le notariat d’anticiper.
Pourquoi anticiper la signature à distance ?
Tout d’abord, selon Alain Lambert, parce que les gouvernements et le Parlement n’anticipent pas ou rarement. Ainsi, en 1999, une directive sur la signature électronique a été publiée (directive 1999/93/CE, 13 déc. 1999). Or un délai de 3 mois s’est écoulé avant sa transposition en droit national, excluant les actes authentiques ! Le CSN a dû proposer un amendement pour ouvrir le support numérique aux actes notariés.
Ensuite, parce qu’une nouvelle révolution est en cours, celle de la transition numérique. L’usager du droit doit pouvoir utiliser les moyens d’information mis en place pour se rapprocher des services publics fournis.
Pour ces raisons, le notariat doit pouvoir offrir un recueil de signature à distance. Les notaires sont déjà en situation d’office augmenté, lequel comprend une partie matérielle et une partie immatérielle, avec la croissance du numérique dans les études. L’instauration d’une unité de lieu entre ces deux parties résoudrait ainsi de nombreuses questions. Une personne à l’étranger ne signerait plus de son lieu mais du lieu de l’infrastructure, c’est-à-dire de la partie immatérielle de l’office. Elle serait dans l’office…
Des réserves peuvent-elles être formulées ?
Bernard Reynis apportait toutefois un bémol quant à cette comparution à distance.
La loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, qui a introduit dans le Code civil l'acte instrumentaire sur support électronique, a admis, après quelques hésitations, que puisse être ainsi dématérialisé non seulement l'acte sous seing privé, mais aussi l'acte authentique (C. civ., art. 1317 ; v. Grimaldi M. et Reynis B. « L’acte authentique électronique », Defrénois 15 sept. 2003, n° 37798, p. 1023).
Le décret n° 2005-973 du 10 août 2005 a fixé les modalités à respecter pour l’établissement des actes sur support électronique, ainsi que pour leur conservation.
La Cour de cassation rappelle régulièrement que ce qui est authentique est ce que constate le notaire au moyen de « ses sens ». Dès lors, quid du consentement recueilli par visioconférence ? Quid de la perception des émotions de ses clients par le notaire ? Quid de la comparution ? Ne faut-il pas craindre un affaiblissement de l’authenticité et de la force probante des actes notariés ? La participation d’un seul notaire suffira-t-elle pour protéger les intérêts des parties, notamment celle à distance ? La sécurité viendra-t-elle du numérique ou restera-t-elle l’apanage des notaires ?
Une proposition… encadrée
Rappelant que la loi de 2000 avait suscité les mêmes débats, Alain Lambert se déclarait confiant. La signature à distance restera une proposition faite aux clients. Celle-ci aura lieu à sa demande et sera encadrée par un code déontologique, le notaire fixant le lieu où sera émis le consentement (un autre office, la mairie, un greffe ?).
Il rappelle en outre qu’existent déjà des offres faites par des organismes en matière de visioconférence, destinées à conserver le caractère secret des échanges. Pour lui, la fonction donnée à un professionnel doit s’exercer de la même manière, quel que soit le support : « Le sanctuaire de l’authenticité numérique réside dans le notaire et non dans le support de son œuvre ».
Rédaction Lextenso, Emmanuelle Guérin