Une étude notariale offre des services particuliers mais constitue une entreprise à part entière. Il n’est pas question de traiter ici des prérogatives de puissance publique du notaire ou de ses obligations, ni de la force et l’intérêt de ses actes ou conseils. L’opportunité est donnée de réfléchir, à travers cet entretien avec Me Frédéric Fortier, notaire à Paris, sur la mise en place par le notaire d’une politique d’inclusion sociale au sein de son office et de répondre ainsi à l’un des enjeux sociétaux du moment.
Une approche terminologique de l’inclusion
Possibilité est donnée au chef d’entreprise comprenant au moins 20 salariés – ou plutôt obligation suivant le Code du travail – d’employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6 % de l’effectif total. À défaut, il doit verser une contribution annuelle.
L’inclusion ne signifie pas seulement embaucher et intégrer des personnes dites différentes, avec comme idée sous-jacente de venir en aide à des personnes exclues du monde de l’entreprise. Dans une société ou organisation inclusive, et par analogie une entreprise, tout le monde a sa place, par définition, puisqu’il n’y a pas de personne « différente » à proprement parler. L’angle de vue est autre. Que l’on soit noir ou blanc, valide ou handicapé, femme ou homme (…), personne ne peut être exclu puisque tout le monde est dans une même norme, celle d’être un humain ! Partant de là, c’est donc à l’entreprise de s’adapter pour prendre en compte l’élargissement de la conception de la norme, ou plutôt d’anéantir la notion de norme justement… Nous nous focaliserons ci-après sur la déficience mentale.
Dès lors, est-il possible pour ces personnes de travailler dans une entreprise notariale en ayant des moyens intellectuels limités et a priori non propices à l’exercice du notariat, qui nécessite des connaissances assez importantes en droit ? Une personne handicapée mentale peut-elle faire partie des effectifs d’un office alors que les documents traités sont confidentiels, importants et conservés informatiquement ou non ? La réponse est évidemment affirmative, le tout est de s’adapter, de réfléchir aux missions à confier et, enfin, que la démarche soit comprise de tous.
Le notaire, délivrant un service public déterminant, peut-il faire l’impasse sur l’inclusion de personnes différentes ? Je ne pense pas.
L’embauche de Maxence
Ayant un rapport particulier avec la trisomie 21 (père d’un jeune enfant ayant un chromosome en plus), il m’a paru logique d’envisager l’embauche au sein de mon entreprise d’une personne présentant cette différence. Après avoir contacté une association spécialisée dans le placement et l’accompagnement de tels jeunes, mon choix s’est très rapidement porté sur Maxence, âgé de 29 ans, très convaincant et attachant lors de son entretien d’embauche. Le pari était double : réussir à lui confier des tâches dignes de ce nom et faire de cette embauche quelque chose d’utile pour l’entreprise en tant que telle, d’une part, apporter une expérience riche à l’ensemble de mes collaborateurs, dont Maxence, et recueillir l’adhésion à cette démarche, d’autre part.
Convaincu que la différence constitue une richesse et ce, quel que soit le milieu (éducatif, sportif, professionnel, etc.), il fallait alors mettre en pratique concrètement cette vision ! J’ai embauché via un contrat à durée déterminée Maxence (lequel avait déjà travaillé dans la restauration principalement), à 3/5es, en prévoyant un passage hebdomadaire de deux heures d’un membre de l’association, afin de lever toute incompréhension éventuelle, discuter, faire avancer sa formation et ses fonctions. Cette visite hebdomadaire est très utile et apporte une dose supplémentaire de pédagogie et d’écoute pour Maxence. Nous construisons ensemble son parcours professionnel.
L’implication et l’adaptation
Il ne faut pas se mentir, la tâche nécessite de s’impliquer un minimum : anticiper et réfléchir aux tâches à confier, prendre le temps de les expliquer et de montrer plusieurs fois, vulgariser au maximum les consignes par écrit (baptisées « les Missions de Maxence »), accepter que la personne porteuse d’handicap ne soit pas opérationnelle sur tout, immédiatement. Ces prérequis assimilés, tout se passe alors pour le mieux. Pourquoi ? Parce que le rapport entre employeur et employé est bouleversé. Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de rôle joué ou feint… nous sommes sur des rapports humains directs, concrets, sans artifice. C’est l’un des apports fondamentaux de ce recrutement. Maxence nous apprend à aller à l’essentiel tant dans les mots que dans les attitudes.
Que fait Maxence au jour le jour ? Nous sommes sur des missions essentiellement logistiques pour le moment (après 6 mois) : ranger et mettre à disposition les consommables pour les collaborateurs, préparer les salles de signatures, scanner certains documents, s’occuper du recyclage du papier, de l’arrosage des plantes, de la distribution du courrier. À terme, j’envisage des missions d’accueil de la clientèle et la préparation de fiches clients, voire la production de certains actes simples type contrat de mariage, pacs…
Des rangements ont pu être réalisés alors qu’ils n’avaient pas été envisagés, les salles sont propres et organisées avant l’arrivée des clients le matin et l’après-midi ; il y a du café, de l’eau, des consommables à disposition et la bonne humeur règne avec lui. Toujours la petite attention, le petit compliment. Maxence est très ponctuel et disposé à travailler dur, exemplaire en ce sens… !
Les bénéfices de l’inclusion
Vous l’aurez compris à travers mes lignes, son apport ne se limite pas aux tâches confiées ! Son embauche a créé du lien social : certains collaborateurs ont découvert la trisomie, ont appréhendé ce qu’était un handicap ; d’autres se révèlent en prenant sur leurs temps personnel et professionnel afin de former Maxence et lui montrer comment faire, pour échanger avec lui, rendre service, s’intéresser à sa vie de tous les jours. Il rend cet investissement enrichissant d’un point de vue humain. De sa propre initiative, à la fin de sa période d’essai, il a convié les collaborateurs, apporté des desserts et fait un discours des plus touchants pour nous remercier de cet accueil, de le considérer comme un employé à part entière, en attendant de lui des résultats. Je pense que l’entreprise a joué pleinement son rôle et qu’elle a évolué de par cette embauche. Maxence est heureux de travailler, d’apporter et de contribuer au fonctionnement de l’entreprise.
Cet apport compense largement le temps passé (environ une trentaine de minutes par jour) et le coût financier que représente l’embauche. Coût financier objectivement peu important compte tenu du travail à temps partiel et des aides à l’embauche. Les retours post-recrutement de mes collaborateurs sont tous positifs ; ils sont enjoués de le voir et de l’aider. Sa capacité à rendre les rapports humains très simples les a quelque peu déstabilisés au début !
Les chefs d’entreprise et a fortiori les notaires se doivent d’agir pour maximiser l’inclusion au sein de leurs sociétés. Ils en tireront un bénéfice certain et je suis persuadé, s’agissant d’une étude notariale, que des fonctions non réalisées ou mal réalisées peuvent être largement confiées sans risque pour sa clientèle, afin d’améliorer l’accueil ou le rangement. Pour me balader depuis plus de quinze ans dans les études notariales… je pense qu’il y a du travail pour eux !
(Propos recueillis par Liliane Ricco)
Rédaction Lextenso