Le Plan Indépendants : une révolution juridique

Ref : Defrénois 7 oct. 2021, n° DEF203k7, p. 15

Porté par le ministre délégué chargé des PME, Alain Griset, le Plan Indépendants est en germe chez le ministre depuis plus de 15 ans. Lui-même ancien artisan-taxi, président de la chambre de métiers du Nord, puis de la chambre régionale de métiers Hauts-de-France, c’est en qualité de président de la puissante assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat qu’il tenta de convaincre le gouvernement, dès 2007, de transformer le statut de l’entrepreneur individuel. Peu convaincu, le ministre Hervé Novelli préféra se contenter de l’adoption d’un régime spécifique, optionnel, l’EIRL (« De l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée », C. com., art. L. 526-6 à L. 526-21, issus de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie), permettant à l’entrepreneur individuel de ne pas avoir à créer une « société fictive » afin de bénéficier d’un régime proche de celui de gérant de SARL. Mais il a vite fallu constater que des freins considérables pesaient sur le développement de ce régime, l’arbitrage ayant été fait plutôt en faveur des créanciers de l’entrepreneur qu’en faveur de ce dernier.

Complexe, même si des améliorations sont venues progressivement simplifier le régime, la greffe n’a pas pris auprès des entrepreneurs et de leurs conseils (seulement 3 % des entrepreneurs qualifiés d’individuels ont adopté ce régime). Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? D’autant que, dans le même temps, tous les regards étaient dirigés vers les autoentrepreneurs (D. n° 2008-1488, 30 déc. 2008), dispositif simple, lisible : devenir entrepreneur en quelques clics !

Le projet est censé déroger dans ses effets au principe du droit de gage général des créanciers en droit français posé à l’article 2284 du Code civil : « Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».Cette théorie de l’indivisibilité, de l’unité ou encore de l’unicité du patrimoine, a été élaborée au début du XIXe siècle par les deux universitaires français,Messieurs Aubry et Rau. Avec la naissance de l’EIRL et de la fiducie, le législateur français aurait pu porter un grand coup à la doctrine des deux universitaires, dans un but précis : inciter à la création d’entreprise par les entrepreneurs individuels. Il n’en a rien été. Tel est le fondement de la future « loi Griset ». Ne doutons pas que l’histoire retiendra son nom…

C’est un projet dans lequel les notaires de France devraient retrouver les fondamentaux de leurs convictions : se mettre à son compte ne doit pas fragiliser le patrimoine familial. Il convient en effet, en cas de défaillance involontaire, de ne pas ajouter le drame humain au drame professionnel d’une part, et de permettre le rebond économique d’autre part. Indéniablement, la crise née de la pandémie et la pugnacité du ministre devraient avoir pour effet de faire sauter les dernières résistances, en dépit du maintien des dispositions de l’article 2284 du Code civil.

Il n’est pas possible dans le cadre d’un article nécessairement concentré de détailler toutes les mesures de ce plan qui demeure un projet et dont nous connaîtrons le contenu législatif après sa présentation en conseil des ministres. Il ne sera succinctement décrit que s’agissant des points les plus significatifs et susceptibles d’avoir un impact direct sur la pratique notariale et sur le statut du notaire.

I. Un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel

Cette mesure phare éclaire une large partie du plan. La mise en place de ce statut unique implique la suppression du régime d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Ne subsisterait que le seul statut juridique permettant que l’ensemble du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel devienne par défaut insaisissable par les créanciers professionnels, sauf si l’entrepreneur en décide autrement (notamment s’il a besoin de lever des fonds).

La réforme concernera toutes les créations d’entreprises après l’entrée en vigueur de la loi, soit en principe dès 2022. Pour les entreprises créées avant la réforme, la protection s’appliquera aux nouvelles créances.

Par ailleurs, le statut unique offrira aux entrepreneurs la possibilité d’opter pour un assujettissement à l’impôt sur les sociétés, comme la loi le prévoyait en cas d’option pour le régime EIRL.

Si la simplicité semble être au rendez-vous de la réforme, il s’agira néanmoins pour l’entrepreneur de procéder à une affectation de patrimoine professionnel, voire plusieurs affectations s’il entend mener de front plusieurs activités.

II. Faciliter le passage de l’entreprise individuelle en société

L’autre nouveauté majeure du dispositif consiste à permettre la transmission du patrimoine (actif et passif) de l’entreprise individuelle, sortant ainsi le processus de transmission du carcan, de la complexité, du formalisme de la cession de fonds de commerce, artisanal, de clientèle civile, ou encore d’office public. C’est la reconnaissance de l’universalité du patrimoine professionnel, distinct du patrimoine personnel. C’est la reconnaissance de l’entreprise individuelle en tant qu’entité, comme l’est l’entreprise exploitée en société. Ce sont d’ailleurs les techniques éprouvées du droit des affaires qui ont inspiré cette simplification.

Il s’agit de permettre la transmission de la totalité du patrimoine professionnel en une seule opération, simple à réaliser. Le cadre de l’opération devrait veiller aux intérêts des créanciers et les contrats pourront prévoir de n’être cédés, transmis ou apportés à une société qu’après accord écrit du cocontractant. Resterait toutefois à préciser les contours de la transmission de l’entreprise en cas de décès de l’entrepreneur. Le législateur s’inspirera-t-il des dispositions applicables aux EIRL ?

III. Améliorer et simplifier la protection sociale des indépendants

1. Faciliter l’accès au dispositif d’assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles par la baisse du taux de cotisation. Le dispositif d’assurance volontaire permet aux indépendants de bénéficier de différentes prestations en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Ce dispositif ouvre droit à la prise en charge des frais de santé, à l’indemnisation de l’incapacité permanente et à l’indemnisation des ayants droit en cas de décès. Seuls 45 000 indépendants ont recours à ce dispositif. Près de 3 millions d’entrepreneurs ne sont donc pas protégés.

L’idée est de réduire d’environ 30 % la cotisation. Incitative, cette baisse de coût n’aurait pas d’impact sur les prestations versées qui resteraient identiques.

2. Mieux protéger le conjoint collaborateur et ouvrir le statut de conjoint collaborateur au concubin du chef d’entreprise. Trop peu de conjoints de commerçants, artisans, professionnels libéraux, qui contribuent pourtant activement à la conduite de l’entreprise, recourent à ce statut, alors qu’il leur confère une pluralité de droits, notamment une protection sociale, des droits à la retraite et à la formation professionnelle.

De plus, Le statut de conjoint collaborateur n’est ouvert qu’aux personnes mariées ou liées par un pacs.

Avec le Plan Indépendants, les concubins des dirigeants d’entreprises auront eux aussi la possibilité d’opter pour ce statut.

Enfin, l’exercice du statut de conjoint collaborateur sera limité à cinq ans dans une carrière afin d’acter son caractère transitoire. Au-delà, le conjoint collaborateur pourra choisir de continuer son activité avec le statut de conjoint salarié ou le statut de conjoint associé. Cette mesure a pour but de limiter l’éventuelle situation de dépendance économique du conjoint à l’égard du chef d’entreprise.

Les notaires connaissent parfaitement cette situation, notamment en cas de décès, de divorce, de séparation.

3. Permettre la modulation des cotisations et des contributions sociales en temps réel. L’idée ? Déclarer au fil de l’eau son revenu estimé, et payer ses cotisations et contributions sociales sur l’état réel de son activité. Tous les indépendants pourront bénéficier de ce service afin de moduler en temps réel leurs cotisations versées (autoliquidation), au plus près des revenus qu’ils perçoivent.

Ce dispositif présentera un intérêt tout particulier pour les indépendants qui connaissent d’importantes variations de revenus sur l’année.

IV. Favoriser la transmission de l’entreprise

1. L’amortissement du fonds de commerce. La réglementation comptable prévoit, sous certaines conditions, la possibilité de constater la dépréciation définitive d’un fonds commercial acquis. Mais les règles fiscales en vigueur ne permettent pas de déduire du résultat imposable les amortissements comptabilisés. La mesure qui sera inscrite au PLF 2022 autorisera – hélas temporairement – la déduction fiscale de ces amortissements pour les fonds acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023. On peut supposer que certaines opérations de cession en cours pourraient être retardées afin que le cessionnaire puisse bénéficier de cette mesure…

Ce dispositif permettra de réduire le coût de la reprise d’une entreprise, et de rendre les opérations de rachat d’entreprises individuelles existantes plus attractives pour les entrepreneurs qui paieront leur impôt (IR, ou IS sur option) sur une base fiscale plus faible. Il reste à espérer que, de temporaire, cette mesure juste et équitable appelée de ses vœux par le notariat depuis des dizaines d’années, sera rendue pérenne lors des débats parlementaires !

Quid du fond artisanal ? du fonds libéral ? Nous en saurons plus à la lecture du projet de loi de finances.

2. Vers la disparition de la location-gérance ? En cas de départ à la retraite ou de transmission d’une entreprise individuelle, l’entrepreneur peut, sous certaines conditions, bénéficier de l’exonération de tout ou partie des plus-values professionnelles réalisées à l’occasion de la cession de son activité au seul locataire-gérant en place. La motivation est donc souvent seulement fiscale.

La mesure envisagée vise à assouplir ces conditions, en autorisant la cession d’une activité mise en location-gérance à toute personne autre que le locataire-gérant, sous réserve qu’elle en poursuive effectivement l’exploitation.

Il eût été sans doute plus simple et plus radical de supprimer le régime de la location-gérance, quasiment disparu de la pratique (sauf cas particuliers), la mesure proposée remplissant parfaitement l’objectif attendu, sur le plan fiscal.

Les notaires connaissent bien les conséquences patrimoniales dramatiques de l’échec d’une exploitation d’un fonds par un locataire gérant…

3. L’assouplissement temporaire du délai de demande d’exonération des plus-values professionnelles de cession d’entreprise réalisées lors du départ à la retraite, porté de 24 à 36 mois. Une mesure juste, liée aux incidences de la crise sanitaire ayant entraîné des retards dans les processus de certaines cessions (notamment des commerces non essentiels). Un entrepreneur qui cède son entreprise individuelle à l’occasion de son départ à la retraite pourra bénéficier de l’exonération des plus-values professionnelles de cession, s’il fait valoir ses droits à la retraite dans un délai maximum de 36 mois avant ou après la cession (contre 24 mois actuellement).

Cette mesure s’appliquerait aux entrepreneurs ayant fait valoir leurs droits à la retraite en 2019, 2020 ou 2021, avant la cession de leur entreprise, soit un dispositif étendu courant jusqu’à fin 2024 au plus tard.

4. L’augmentation des plafonds d’exonération des plus-values de cession. Les plafonds d’exonération partielle et totale des plus-values lors de cessions d’entreprises individuelles seraient relevés de 300 000 à 500 000 € pour une exonération totale, et jusqu’à un million d’euros pour une exonération partielle.

Cette importante mesure fiscale permettrait un alignement sur le dispositif d’exonération prévu pour la cession de sociétés soumises à l’IS : pragmatisme, et meilleure lisibilité.

V. Clarifier et aligner les règles communes aux professions libérales réglementées

Cette mesure, conduite par la Direction générale des entreprises de Bercy, concertée avec les professions réglementées (dont le notariat) devrait entrer en vigueur par voie d’ordonnance dès le second semestre 2022.

L’exercice des activités libérales réglementées fait l’objet d’un encadrement juridique spécifique. Pour les professionnels qui ont fait le choix de se structurer sous forme de société, la multiplicité des textes juridiques peut engendrer des difficultés d’application.

Ainsi, sur quels critères choisir sa structure d’exercice entre la SEL et la société de droit commun ? Les textes existants devraient être rationalisés et un cadre juridique cohérent serait créé. Les spécificités propres à certaines professions ne seraient pas remises en cause, comme le maintien des restrictions sur la détention du capital social pour certaines professions.

La vigilance sera aussi soutenue s’agissant de l’objet social des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL), qui ne sauraient être des holdings de droit commun.

VI. Un site internet unique pour améliorer l’information et l’orientation des entrepreneurs…et de leurs conseils

L’expérience a démontré l’utilité et la relative simplicité d’accès au site www.impots.gouv.fr. Il était dès lors pertinent d’imaginer un site dédié aux entrepreneurs, car l’information et les formalités pour les entreprises sont actuellement dispersées sur de nombreux sites publics, situation créant pour les entrepreneurs un manque de lisibilité et de fluidité entre la recherche d’information et la réalisation de démarches en ligne.

Fin 2021, les entrepreneurs devraient donc disposer d’un accès à ce site internet, site unique de référence pour les entrepreneurs et leurs conseils dans le cadre de leurs recherches, de leurs questions et de leurs démarches. Quelque chose comme : www.entrepreneurs.gouv.fr ?

Frédéric Roussel, notaire honoraire

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