Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères vient de lancer la feuille de route pour l’action de la France à l’international en matière d’état civil pour la période 2021-2027, sujet pour lequel le Conseil supérieur du notariat (CSN) a activement œuvré.
Me Laurent Dejoie, notaire à Vertou, président de l'Association du notariat francophone (ANF) et président honoraire du Conseil supérieur du notariat (CSN), revient pour nous, en sa qualité de président de la Mission de l’international du CSN depuis 2014, sur le rôle et la place du notariat en la matière.
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Sur quel constat s’appuie cette feuille de route intitulée « Améliorer l’universalité et la fiabilité de l’enregistrement des faits d’état civil » ?
Il existe un grand nombre d’enfants non déclarés car, lors d’une naissance, tous les pays prévoient l’obligation pour les parents de déclarer l'enfant auprès de l’autorité publique, le plus souvent la mairie, comme pour les mariages et les décès. C’est l’enregistrement d’un fait, la naissance, qui permet d’établir l’état civil de l’enfant né.
Cette déclaration est soumise à un délai variable selon le pays : de 5 jours en France, il peut avoisiner les 30 jours dans certains pays africains.
En cas de déclaration hors délai ou à défaut même de toute déclaration, l’enfant est dépourvu d’acte de naissance et donc d’identité.
Or l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant prévoit que :
« 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride ».
Les causes de cette absence de déclaration sont nombreuses :
carence ou désorganisation de l’État, comme par exemple en Somalie ;
éloignement des mairies ou préfectures ou coût important que peut représenter le droit de timbre parfois obligatoire pour effectuer la déclaration de naissance ;
absence d’intérêt perçu par certains parents ;
raisons culturelles ou religieuses constituant parfois des freins pour des enfants qui sont alors connus des autorités religieuses mais non de l’état civil.
L’absence d’identité rend impossible l’exercice de ses droits (droit à la santé, à l’école, de vote) et empêche toute existence juridique.
Or s'il est vrai que dans un espace géographique restreint, l’enfant, connu de tous, ne rencontre pas de difficultés, transposée dans une métropole, la situation est alors dramatique : sans existence juridique, l’enfant est la proie idéale de trafics sexuels, militaires, mafieux.
Parallèlement à ce problème juridique se pose un problème économique plus global. Cette méconnaissance de sa propre population par les État engendre des politiques publiques peu fiables et mal adaptées, puisque ne reposant pas, notamment, sur une pyramide des âges.
Quel rôle a joué et peut jouer le notariat ?
C’est en 2012 que nous avons découvert cette situation.
Nous avons rapidement perçu qu’au-delà du problème juridique que nous avions constaté, nous étions face à un véritable problème humanitaire de grande ampleur puisqu'à ce jour on estime que ce sont 166 millions d’enfants de moins de 5 ans qui sont non déclarés.
Le notariat a alors voulu mettre ce sujet en lumière : l’ONU et l’UNICEF en étaient conscients mais le problème restait encore peu connu.
L’ANF s’est donc attelée à un travail de plaidoyer qui a pris la forme, en 2014, du livre « Les enfants fantômes » que j’ai coécrit avec Me Abdoulaye Harissou, notaire au Cameroun, et qui a été préfacé par Robert Badinter.
Forte de ses 28 pays membres, l’objectif de l’ANF a toujours été l’assistance à la mise en place d’opérations concrètes afin d'aboutir à des solutions concrètes.
D’une part, avec des missions en direction des États afin que la puissance publique s’empare de ce sujet qui relève de son pouvoir régalien. Et c’est avec satisfaction que nous avons œuvré à ce que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) s’en saisisse puisqu’elle représente 88 États membres dont 54 font partie de l’Union africaine (UA).
Les solutions peuvent s'appuyer, par exemple, par l’intégration des nouvelles technologies : c'est le cas dans certaines régions d’Afrique avec l’attribution d’un bracelet de naissance muni d’un code identifiant permettant une sorte de pré-déclaration de l'enfant.
D’autre part, sur le plan individuel, les missions contribuent, par leur soutien logistique, à l’organisation de « cérémonies » de régularisation dans les villages. En effet, le processus de régularisation de l’état civil est souvent facilité par les directeurs d'écoles qui, durant plusieurs mois, préparent des audiences foraines du juge qui établit l'acte de naissance et des agents de l’état civil qui l'enregistrent alors.
Je soulignerais enfin que nos actions ont également permis de sensibiliser les députés Laurence Dumont et Aina Kuric, qui ont présenté leur « Rapport d’information sur les enfants sans identité » lors d’une séance de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 22 septembre 2020.
Quel message souhaitez-vous transmettre à nos lecteurs ?
C’est à l’occasion de la visite d’un orphelinat au Cameroun que son directeur m’a dit : « ces enfants vivent une double peine car ils n'ont ni parents, ni identité ».
Mon réflexe de notaire m’a immédiatement poussé à me demander comment il serait possible d'établir des actes.
Mais très vite, face au problème humanitaire de grande ampleur que je découvrais, il m’apparaissait nécessaire que le notariat participe, non pas par l’établissement d’actes, mais par la création de synergies, la mises en relation entre différents acteurs et l’aide opérationnelle.
C’est ce que permet l’ANF, créée par le notariat français et qui fédère aujourd’hui 28 notariats sur tous les continents.
Constituée à l’origine pour échanger les bonnes pratiques, elle a permis de mettre en place des actions de formation, qui ont abouti à la création de l'université du notariat francophone, devenue l'université du notariat d'Afrique pris en main pr le notariat africain, et elle soutient l’université Abdou Moumouni (UAM) de Niamey pour son master 2 de droit notarial.
Ce sont donc à deux dossiers de fond que l'ANF s'atelle désormais :
la sécurité foncière ;
et la sécurisation de l’état civil.
Enfin, la défense du droit continental et la diversité juridique sont bien entendu toujours d'actualité et continuent à guider nos actions.
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(Propos recueillis par Liliane Ricco)