Michel Grimaldi,
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas
Bernard Vareille,
Professeur émérite de l’Université de Limoges
En cette période de canicule, la formation des notaires, qui est sur le feu depuis de nombreuses années, bouillonne… Un projet presque abouti confierait la délivrance d’un diplôme d’études notariales à un attelage formé par chaque université qui souhaiterait participer à cette entreprise et l’Institut national des formations notariales, personne morale de droit privé d’utilité publique créée en 2019.
Il faut toucher à cette question d’une main prudente.
Trois points méritent d’être soulignés.
En premier lieu, le Notariat des années soixante-dix comprit qu’une logique profonde invite une profession composée d’officiers ministériels, nommés par le ministre de la Justice et détenteurs du sceau de l’État, à exiger de ses membres non pas un simple certificat professionnel, dont peuvent légitimement se satisfaire certaines professions libérales, mais un diplôme d’État : donc un diplôme délivré par l’Université, puisque celle-ci a le monopole de la collation des grades. En quoi le Notariat trouve la démonstration de son originalité et affiche un emblème de sa mission. N’y aurait-il pas danger à y substituer un diplôme d’une autre nature ?
En deuxième lieu, une bonne association respecte l’égalité entre ceux qui la composent. Si donc il est tout naturel que la formation des notaires, dès lors qu’elle associe l’Université et le Notariat, soit confiée… à des universitaires et à des notaires, encore faut-il que ce soit sur un pied d’égalité. On comprendrait mal que l’instance chargée de sélectionner les candidats à cette formation (s’agissant de ceux qui ne sont pas titulaires d’un master de droit notarial) comprenne deux fois plus de notaires que d’universitaires, nourrissant ainsi – injustement sans doute mais inévitablement – le soupçon de népotisme que toute profession doit s’employer à exclure. Et l’on ne comprendrait vraiment pas, mais pas du tout, que les universitaires enseignant dans cette formation fussent désignés par les universités… sur proposition de l’Institut : horresco referens…
En troisième lieu, les universités sont jalouses de leur autonomie et les universitaires ont l’indépendance chevillée au corps. C’est ainsi que la désignation des responsables de formations obéit à des principes de démocratie interne qui ne permettent pas qu’un universitaire, dont l’indépendance est garantie par la Constitution, soit récusé par d’autres que ses pairs. L’honneur d’une université pourrait donc bien être de repousser une convention qui la placerait, pour l’organisation d’un diplôme qu’elle délivre, sous la dépendance d’un Institut qui le délivrerait avec elle : la mission de l’Université est d’assurer le service public de l’enseignement supérieur, non de se mettre au service d’une personne morale de droit privé.
Encore un mot sur la formation notariale dispensée par l’Université. On entend dire parfois que l’étudiant fraîchement diplômé ne serait pas « utilisable » dans l’étude. L’antienne est bien connue… Mais, d’une part, les étudiants ne reçoivent pas sur les bancs de l’Université un enseignement égaré dans le paradis des concepts : les notaires y sont le plus souvent étroitement associés. D’autre part, la formation est aussi celle que les étudiants reçoivent lors d’un stage sous l’autorité d’un maître de stage. Ce dernier, investi d’une forte mission pédagogique, leur doit une initiation progressive et attentive à la pratique du métier, en leur permettant de suivre à l’étude les dossiers qui illustrent les derniers enseignements reçus de l’Université. Alors, si l’étudiant n’est pas assez opérationnel à l’issue de cette formation, la cause ne s’en trouve pas nécessairement du seul côté de l’École.
Une telle réforme de la formation des notaires, préparée loin des yeux du monde universitaire, marquerait un recul du rôle de l’Université dans la délivrance du diplôme de notaire.
Les auteurs de cette tribune – convaincus que le Notariat est une composante essentielle de la culture juridique continentale et confiants dans les promotions de notaires qu’ils ont accompagnées au fil des ans – voulaient, par ce propos, redire qu’une concertation patiente et loyale entre Université et Notariat est plus que jamais indispensable, si l’on souhaite voir évoluer la formation notariale avec son temps sans que la profession notariale y sacrifie ce qui fait sa singularité. Car la formation et la profession notariales, qui ne font qu’un, sont exposées à de semblables périls.