Le droit local célébré : retour sur un siècle de modernité au cœur de l'Europe

Ref : Defrénois 12 sept. 2024, n° DEF221l4, p. 12

Dorian Rollin

Me Olivier Beltzung, notaire à Kingersheim, chargé d'enseignement

À l'occasion du centenaire des lois du 1er juin 1924, les Notaires Alsace Moselle ont organisé, le 17 juin dernier, un congrès du centenaire du droit local. Me Olivier Beltzung nous en fait un retour pour nos lecteurs.

Pouvez-vous nous rappeler le contexte des lois du 1er juin 1924 ?

Les lois du 1er juin 1924 ont porté introduction, dans les départements du Rhin et de la Moselle, de la législation française, à la suite de la période d’annexion de ces départements à l’Empire allemand.

Ces lois, qui initialement devaient être provisoires, sont entrées dans le quotidien des Alsaciens et des Mosellans qui vivent, parfois sans réellement en prendre toute la mesure, sous l’égide de ces dispositions législatives.

On peut y voir le point de départ de l’histoire législative française du droit local, consacrant ce droit français d’application territoriale.

Cependant, ces lois ne constituent pas la naissance du droit local qui a été le fruit d’une construction lente.

Ainsi, après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle à l’Allemagne en 1871, il a été notamment maintenu le Concordat voulu par Napoléon Bonaparte et régissant le droit des cultes. Cependant, a été supprimé en 1872 le droit de présentation pour les officiers ministériels qui avait été instauré lors de la Seconde Restauration en 1816.

Au retour des autorités françaises, le livre foncier, le partage judiciaire et le droit des associations d’origine allemande ont été maintenus dans nos trois départements et il n’a pas été touché au régime des cultes qui, pourtant, avait fait l’objet, en France, en 1905, d’une loi sur la séparation des Églises et de l’État.

On peut ainsi relever que les législations, tantôt françaises et tantôt allemandes, ont pris le soin de garder le meilleur et l’utile d’un point de vue législatif dans nos trois départements, et ce, dans l’intérêt des habitants d’Alsace et de Moselle. Cette construction traduit la résilience dont a fait preuve le législateur prenant en compte les vicissitudes de notre histoire locale.

Quel est le particularisme du droit local ?

La particularité du droit local, outre sa territorialité, réside dans l’étendue des matières qu’il traite et réglemente.

Ce droit est gage, pour les Alsaciens et les Mosellans, de proximité, de sécurité et de modernité.

Tout d’abord, une sécurité juridique renforcée, notamment par le système de publicité foncière. L’attelage existant entre le notaire et le juge du livre foncier aboutit à une présomption simple d’exactitude du livre foncier et de ses énonciations. Ensuite, toute procuration sous seings privés concernant un droit devant faire l’objet d’une publicité foncière dans les trois départements doit voir la signature du mandant légalisée par un notaire. Par ailleurs, notre système de publicité foncière a su se moderniser par une informatisation réussie au début des années 2000.

La proximité de notre droit se détecte surtout dans le cadre des spécificités des procédures de droit local et notamment celle de partage judiciaire. Cette procédure traduit toute la confiance que le législateur a placée dans les notaires en 1924, comme magistrats de l’amiable, pour procéder à l’accommodement des parties. Après sa désignation par le magistrat, le notaire va pouvoir diriger la procédure et être source de proposition à l’instar d’un conciliateur. Il est à souligner que la procédure locale de partage judiciaire demeure une procédure gracieuse, efficace et facilitatrice de l’accès au droit.

Quel message souhaitez-vous adresser aux notaires de toute la France ?

Nous avons pu démontrer que le droit local, après 100 ans d’existence, est dans la force de l’âge et qu’il apporte des réponses concrètes aux attentes de nos concitoyens. Il ne s’agit pas d’un droit poussiéreux, bien au contraire. À titre d'illustration on évoquait précédemment la procédure locale de partage judiciaire. À l’heure où les pouvoirs publics souhaitent le développement de la justice de l’amiable, nous avons pu montrer que notre procédure locale répondait aux attentes. Par son caractère obligatoire, elle offre une alternative à la médiation, laquelle est une démarche facultative reposant sur la volonté des parties. De pareille manière, la procédure locale d’exécution forcée immobilière, confiée au notaire, laisse une possibilité de recours à l’amiable non négligeable, la vente amiable étant une issue fréquente.

Au cours des célébrations de cet évènement, et notamment lors des tables rondes organisées par le notariat, nous avons eu plaisir à associer à notre réflexion des avocats et des magistrats, praticiens comme les notaires du droit local. Tous ont unanimement souligné l’adaptabilité du droit local ainsi que sa grande efficacité et nous ne pouvons qu’adhérer à cette constatation.

Soulignons que notre droit local a déjà inspiré le droit général à maintes reprises. Nous ne pouvons que souhaiter que le législateur continue à s’inspirer de notre législation locale riche, qui a placé l’apaisement et la confiance en l’institution notariale au cœur du dispositif législatif. Nous avons ainsi pu apprendre que le Conseil supérieur du notariat étudiait avec attention notre procédure de partage judiciaire en vue d’en faire profiter l’ensemble des notaires de France. Par ailleurs, la caducité automatique des compromis de vente de plus de six mois en Alsace-Moselle semble également être source d’inspiration pour le législateur.

Le droit local a fêté ses 100 ans et à cette occasion nous ne pouvons que souhaiter que le législateur prenne enfin la mesure de ce droit vivant et vivace et qu’ainsi, comme l’ont fait ses prédécesseurs, il puisse s’inspirer de cette législation gage de proximité, tout en alliant sécurité et modernité.

Le 17 juin nous avons célébré le droit local, un droit local ouvert, bien au-delà du notariat, bien au-delà de nos trois départements, et pour qu’il vive bien au-delà de ce seul évènement !

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