Un arrêté ministériel du 5 juillet 2023 a introduit l’enseignement de l’histoire du notariat dans le programme de formation des futurs notaires (DEF 20 juill. 2023, n° DEF215n8).
Il s’agit d’une première en France qui sera mise en œuvre à la fin de cette année à l’occasion de la rentrée des étudiants en diplôme d’études supérieures de notariat.
La formation des notaires, partie intégrante de l’histoire du notariat
L’histoire du notariat français est celle d’une unification progressive des notariats du sud et du nord de la France et d’une reconnaissance, sur plusieurs siècles, d’un pouvoir : celui de sceller des conventions au nom des autorités et de leur conférer l’authenticité attachée aux actes publics. C’est aussi celle de l’organisation d’une communauté et d’une profession autour de devoirs et d’obligations déontologiques, réglementée autant par elle-même que par l’autorité publique. Mais c’est également celle de l’évolution de la formation des notaires.
Comme l’avait montré le professeur Jean Hilaire (La Science des notaires : une longue histoire, 2000, PUF) et tel que le rappelle le précis Histoire du notariat et du droit notarial en France du professeur Franck Roumy et de Me Philippe Caillé qui vient d’être publié aux éditions Defrénois, la formation des notaires est restée pendant longtemps essentiellement fondée sur l’apprentissage et le stage.
Des écoles de notariat créées par certaines chambres de notaires se sont localement développées au cours du XIXe siècle et ce n’est qu’en 1905 qu’elles ont été placées sous la tutelle du ministre de la Justice. Mais il n’était pas nécessaire de suivre leur cursus, ou même d’avoir un diplôme de droit, pour devenir notaire.
Il a fallu attendre le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 pour qu’une maîtrise en droit soit exigée, ou un équivalent reconnu, avant de s’engager dans une formation sanctionnée par un diplôme permettant d’accéder aux fonctions de notaire. Ce diplôme était délivré à la suite d’un parcours alliant en alternance un stage au sein d’un office notarial et un enseignement théorique délivré soit par un centre régional de formation (on parlait de « voie professionnelle »), soit par une université de droit (la « voie universitaire »).
Plusieurs textes récents ont simplifié ce système. Ainsi, le décret n° 2018-659 du 25 juillet 2018 a fusionné au sein d’un organisme unique, l’Institut national des formations notariales (INFN), les compétences en matière de formation initiale ou continue des notaires et des collaborateurs des offices, puis le décret n° 2022-1298 du 7 octobre 2022 a unifié les voies d’accès aux fonctions de notaire par la création d’un diplôme d’État désormais unique, le diplôme d’études supérieures de notariat (DESN). Celui-ci est délivré à l’issue d’un enseignement conjointement assuré par l’université et la profession.
On retrouve ainsi dans l’évolution de la formation des futurs notaires les mêmes mouvements de renforcement du rôle de la profession et d’unification qui ont marqué l’histoire du notariat.
Mais c’est un arrêté du 5 juillet 2023, pris pour l’application du décret du 7 octobre 2022 et entré en vigueur le 1er septembre dernier, qui crée aujourd’hui l’événement.
L’histoire du notariat, partie intégrante de la formation des notaires
Ce texte définit en effet le contenu de l’enseignement qui doit conduire à la délivrance du DESN. Il développe trois volets qui correspondent aux trois visages professionnels du notaire : l’officier public, l’expert juridique et le chef d’entreprise.
Le premier volet correspond à 85 heures d’enseignement. Il porte sur l’authenticité et l’acte notarié, la déontologie, la responsabilité notariale, la lutte contre le blanchiment des capitaux, le tarif et la comptabilité notariale, l’utilisation des outils numériques, les instances professionnelles et… l’ « histoire de la profession ».
C’est la première fois que l’histoire du notariat fait ainsi partie du programme d’enseignement des futurs notaires, même si dans le passé les grands ouvrages sur la pratique notariale – par exemple au XVIIIe siècle La science parfaite des notaires ou le parfait notaire de Claude-Joseph de Ferrière ou Le Traité de Simon-François Langloix – comprenaient une partie consacrée à l’origine et à l’organisation de la profession.
L’enseignement de l’histoire du notariat dans le cursus de formation des futurs notaires ne saurait surprendre. Comme le souligne Me Sophie Sabot-Barcet, alors Présidente du Conseil supérieur du notariat (CSN), dans sa préface à l’ouvrage précité du professeur Franck Roumy et de Me Philippe Caillé, on ne peut comprendre le notariat d’aujourd’hui sans appréhender son histoire : « Son identité est forte, sa culture est marquée par une histoire régionale et nationale, par une maturation lente, une volonté de perfectionnement et d’adaptation, remarquablement constante au fil des âges ».
L'histoire comme source de confiance
Pourquoi n’avoir introduit cette matière qu’en 2024 ? Les jeunes générations de notaires se désintéresseraient-elles des origines de leur profession, seraient-elles confrontées à un phénomène de perte d’identité en raison de la multiplication du nombre de notaires depuis la loi Croissance de 2015 ou de la possibilité de s’installer beaucoup plus rapidement qu’auparavant ?
Jérôme Fehrenbach, directeur général du CSN, ne le pense pas : « Il n’est nullement démontré que les jeunes notaires seraient moins attachés aux valeurs du notariat que leurs aînés ou, inversement, que ces derniers auraient une connaissance plus intériorisée de l’histoire de leur profession ».
Il souligne qu’en revanche les nombreuses attaques dont la profession et le statut d’officier public ont fait récemment l’objet tendent à installer dans l’esprit de nombre de notaires et jusqu’au cœur de l’administration l’idée que le notariat serait un vestige incongru de l’Ancien Régime, le reste oublié d’une époque révolue, au risque de douter de la légitimité sociale de la profession. Or le notaire doit être « conscient de son histoire et confiant dans son passé », dit-il. « Rien de fortuit dans la perpétuation du notariat au fil des âges, cette histoire est le socle solide d’une justification sans cesse renouvelée ».
Pour Jérôme Fehrenbach l’histoire montre en effet que la fonction notariale découle de l’institution judiciaire et repose sur un besoin de paix sociale qui a traversé le temps et reste d’une profonde actualité. L’acte notarié présente à ce titre cette singularité d’être un acte éminemment privé dans son objet et sa conception mais auquel est attachée la force la plus haute des actes publics, celle de l’autorité de la chose jugée. Il souligne que le notariat aurait pu être supprimé à la Révolution ou fonctionnarisé sous le Consulat mais que, loin d’avoir disparu ou d’avoir été oublié, il a été au contraire tant réformé que confirmé dans sa singularité. Les réformes dont il a fait l’objet à partir de la seconde moitié du XXe siècle sont également venues conforter sa légitimité. « Le notaire n’a donc pas à rougir de sa profession et de son statut dans le monde d’aujourd’hui. Tout en nuances, ce statut est adapté à la complexité d’un monde en transformation, comme il l’était au moment de l’ordonnance de Villers-Cotterêts ».
En mettant l’histoire du notariat au programme de l’enseignement notarial, la profession a ainsi voulu faire de la connaissance de leur histoire par les notaires une source de motivation dans l’exercice de leurs fonctions.
L’histoire pour renforcer le sentiment d’appartenance
La connaissance et la conscience de l’histoire ont une autre vertu, celle de renforcer le sentiment d’appartenance à la profession, comme en témoigne Me Hémavati Ramassamy, notaire créatrice d’un office à Paris en 2017.
Elle reconnaît avoir débuté sa carrière sans information particulière sur l’histoire du notariat : elle savait comment et pourquoi exercer sa profession mais elle n’en connaissait pas toute la dimension. « Prenez le sceau, dit-elle, vous avez connaissance de ce qu’il représente en termes juridiques de pouvoir et d’obligations mais un jour vous prenez conscience qu’il figure la liberté et la lumière et que si vous en êtes détenteur c’est parce que vos prédécesseurs ont conquis le droit d’en être gardien ; votre fonction prend une tout autre signification, vous vous sentez responsable et redevable de votre statut envers tous vos confrères ; vous passez de rapports confraternels à des liens d’appartenance à une communauté soudée par son histoire et son ancienneté ».
Elle précise que les conditions dans lesquelles elle a été reçue au sein de sa Compagnie puis le fait d’être élue membre de chambre ont été déterminants dans sa prise de conscience : « Je suis devenue à mon tour notaire au Châtelet de Paris, fière et gardienne d’une tradition ».
L’histoire pour servir le public
Autre témoignage, celui de Me Hubert Meunié, associé dans l’un des plus anciens offices parisiens ; l’étude présente la particularité d’être située à la même adresse depuis plus de deux siècles.
Le fait que son exercice professionnel s’inscrive dans une histoire et une communauté a toujours été une évidence pour lui. Il enseigne à l’École du notariat depuis 25 ans et regrette que les programmes n’aient pas jusqu’à présent laissé plus de place à l’histoire de la profession. Il est nécessaire de l’aborder car, dit-il, comment faire par exemple comprendre à des étudiants le sens et les enjeux de l’authenticité des actes qu’ils recevront ?
Mais il souligne que l’histoire de la profession doit également rejoindre celle de ses clients et de leurs familles. La continuité de la présence du notaire auprès du public est pour lui l’une des grandes forces de la profession, hier comme aujourd’hui et quelle que soit l’ancienneté de l’office.
L’histoire du notariat est donc décidément plus que jamais une valeur d’actualité.
Philippe Caillé, président de l’Institut international d’histoire du notariat, Alain Robert, Secrétaire général de l’Institut international d’histoire du notariat (IIHN)