Le notaire n’a pas à prévoir les revirements de jurisprudence. En revanche, en cas d’incertitude sur le régime applicable à une opération, il doit au moins en avertir ses clients, au titre de son devoir de conseil

M.X. qui, en vertu d’un bail rural, exploitait un domaine agricole., décide d'arrêter son activité et de céder son exploitation. Le 28 mai 1985, M. Y., agent immobilier, rédige un acte de cession de l'exploitation prévoyant le paiement au preneur sortant par le preneur entrant d'une somme correspondant à l'estimation faite par expert de la valeur vénale des fumures et arrière-fumures en terre. Le même jour, Me Z., notaire, reçoit l'acte authentique constatant la résiliation amiable du bail conclu entre M. X. et le propriétaire et l'acte authentique relatif au bail à ferme conclu entre celui-ci et le nouveau preneur.

Au terme d'une action en répétition de l'indu exercée à l'encontre de M. X., sur le fondement des articles L. 411-71 et L. 411-74 du Code rural, le nouveau preneur obtient la restitution de la somme qu'il avait versée au titre des améliorations culturales. M. X. assigne alors l'agent immobilier et la S.C.P. notariale Z. et associés en responsabilité professionnelle sur le fondement d'un manquement à leur obligation de conseil. Pour le débouter de ses demandes, la cour d’appel retient qu’il résulte des pièces versées aux débats que la pratique d'indemnisation des fumures et arrière-fumures par l'exploitant entrant à l'exploitant cédant correspondait à une pratique coutumière dans le Nord, validée par la pratique jurisprudentielle des tribunaux du Nord, notamment la cour d'appel de Douai, jusqu'à l'arrêt rendu le 27 mars 1985 par la Cour de cassation, interdisant cette pratique au visa de l'article L. 411-71 du Code rural, arrêt qui n'avait été publié qu'en juin 1985, soit postérieurement à la réalisation de l'opération, et qu'ainsi, l'obligation contractuelle tant du notaire que de l'agent immobilier étant une obligation de moyens, il ne pouvait leur être reproché d'avoir agi en fonction et conformément aux données d'usage et de jurisprudence de l'époque.

La décision est cassée : la cour, en se déterminant ainsi, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1147 et 1382 du Code civil. Les juges du fond auraient dû rechercher si, eu égard aux textes applicables, l'état du droit positif existant à l'époque de l'intervention du notaire et de l'agent immobilier, fixé par l'arrêt du 27 mars 1985, ne procédait pas d'une évolution antérieure apparue dès un arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1983, arrêts selon lesquels les fumures et arrière-fumures constituaient des améliorations culturales susceptibles d'une indemnisation par le seul bailleur ; de sorte qu'il incombait à ces professionnels, soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit, à tout le moins, d'avertir le preneur sortant des incertitudes de la jurisprudence quant à la validité d'un paiement mis à la charge du preneur entrant.

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