À la lecture, dans ma retraite, des deux arrêts de la Cour de cassation du 27 septembre 2017 sur la réserve héréditaire et l'ordre public international français, et me revenant à la mémoire l’étude approfondie et les conclusions de la 2e commission du 108e congrès des notaires de France sur la réserve héréditaire de notre droit, je ne puis m’empêcher de réagir sur cette jurisprudence en décalage et incompatible avec la nature de l’institution qu'elle se devait de défendre.
Je m'inscris en faux contre cette décision qui ramène cette institution de transmission de notre droit français, à une simple règle à caractère alimentaire, économique et charitable, pour assurer un minimum vital à un héritier dont les parents seraient d'autant plus enclins à priver leurs enfants du système juridique français qu'ils sont avertis sur les droits étrangers qu'ils entendent librement rejoindre en la matière.
Non et non, la réserve n'a pas cette seule vocation alimentaire, mais assure d'autres valeurs, que le 108e congrès des notaires de France a rappelées et plébiscitées par un vote à la quasi-unanimité (Defrénois 30 sept. 2012, n° 40605, p. 911).
L’assimilation de cette institution fondamentale de l’architecture de notre droit successoral à une institution de minimum vital ou à caractère seulement économique me conduit à tirer notamment ces conclusions :
la Cour de cassation n'a pas compris la portée de cette institution qu'elle dénature. Elle lui dénie toute valeur de liberté et de protection, sociale, familiale, spirituelle... ayant trait à son objet, la transmission par la dévolution de la succession d'une personne dont la réserve est une « part » ;
notre cour suprême a failli dans sa mission de gardienne du droit français dans l'ordre public international. Il n'est pas douteux que lutter contre la précarité est de l'ordre de la justice universelle et de l'ordre international, de telle sorte que la France ne doit, ne peut, ni ne veut s'en défendre. Point n'est besoin ici de mettre en avant l'ordre public international français, pour défendre une telle lutte. En revanche, la réserve successorale, si elle répond d'ailleurs aussi sur ce point, va plus loin et recouvre d'autres valeurs spécifiques au droit français. La Cour de cassation ne milite ici que pour une valeur de l'ordre public international s’imposant à tous, nullement de l'ordre public international en tant que français ;
certes, la réforme du droit successoral de 2006, et la jurisprudence qui la suivit, contribuèrent à monétiser la réserve, en exprimant et en soutenant le principe de la réduction en valeur (C. civ., art. 924). Mais, si la réserve peut bien n'être servie qu'en valeur (C. civ., art. 924-1), il s'agit de sa mise en payement, et non de sa définition exhaustive. Monnayer la réserve dans son règlement n'implique nullement qu'il faille en monétiser la nature dans sa définition. La Cour de cassation, en se référant d'abord à cette nature et à cette définition, pouvait, si elle en avait et l'appréhension et la volonté, mettre en avant tous les autres aspects de cette institution d'ordre public interne, approfondis et repris par le 108e congrès des notaires de France. Elle aurait aussi pu et dû se référer à la définition de sa nature, affirmée par l'article 912 du Code civil comme étant « la part des biens et droits successoraux », soit une part même de la succession à la personne du défunt, pour en faire valoir la spécificité du droit public international français en matière successorale. Confondant le comment de la mise en œuvre de l'institution et la plénitude de son pourquoi, la Cour de cassation n'a pas rempli sa mission ;
ainsi pour moi, comme naguère le Conseil constitutionnel pour le droit au prélèvement de la loi du 14 juillet 1819, la Cour de cassation contribue à la dévalorisation de la réserve.
De grâce, ne tentons pas de défendre la réserve, en voulant trouver une solution par son quantum... Ce qui est en jeu, c'est la compréhension de sa qualité d'institution légale substantielle d'équilibre social et familial, équilibre qui n'a, en soi, nullement besoin du juge, tant en interne qu'en externe.
Rédaction Lextenso, Xavier Meyer, notaire honoraire