La promotion 2017-2018 de l’Association Droit Notarial Dauphine (ADN Dauphine), sous la direction du professeur Anne Karm, organisait à la chambre des notaires de Paris, le 10 octobre 2018, à l'occasion des 10 ans du Master 2 « Droit Notarial » (M 213), une conférence sur le thème « Brexit & pratique notariale ». Cette conférence était présidée par Jean Prieur, professeur émérite de ladite université et animée par six spécialistes des domaines dans lesquels le Brexit présente des enjeux importants.
Approche contextuelle
Duncan Fairgrieve, professeur associé à l’université Paris-Dauphine, solicitor et lui-même écossais, a rappelé que le Brexit a été voté par une petite majorité de britanniques (52 %). Le vote reflète de profonds clivages puisque le « leave » a été voté majoritairement par le Pays de Galle et l’Angleterre, les plus de 65 ans (64 %) et les personnes sans qualification (70 %).
Le Brexit provoque un changement brutal dans l’histoire juridique anglaise dont l’évolution était jusqu’alors lisse, la common law intégrant les usages de façon souple. Si à l'intérieur du Royaume-Uni, ce séisme inédit déconcerte les institutions britanniques, à l'extérieur, il modifie le rôle de ce dernier dans l’ordre international.
Enjeux économiques et financiers
Selon Kevin Beaubrun-Diant, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, une partie importante des exportations du Royaume-Uni sont à destination de l’UE. C’est pourquoi il est à prévoir un effet négatif sur l'économie britannique (9,5 % d'impact négatif sur le PIB d’après le Trésor britannique et 5 % selon l’OCDE, horizon 2030).
S’agissant des opportunités de la France en qualité de place financière, elle a des atouts (population francilienne abondante, possibilité d’emplois diversifiés pour les conjoints, chiffre le plus élevé dans l’UE de diplômés dans des domaines pertinents, de nombreuses écoles internationales même si elles sont excentrées à l’Est et à l’Ouest). Néanmoins les transports, particulièrement les liaisons aéroportuaires, constituent un handicap.
Enjeux en droit anglais des contrats et des affaires
Alix Troënes-Smith, diplômée notaire, lawyer, responsable de la clientèle française au sein du cabinet Browne Jacobson LLP à Londres et Richard Nicholas, solicitor associé au sein du même cabinet, ont expliqué qu’ils recommandent à leurs clients d’attendre janvier 2019 et de préparer un action plan en procédant à des audits concernant :
les salariés français et leur statut (demander éventuellement le settled status assurant la meilleure sécurité) ;
les baux commerciaux (examen des clauses stratégiques : réévaluation, sous-location, cession à un tiers, rupture anticipée) ;
les marques et brevets (la fin de la protection des marques au niveau européen nécessitera la mise en place d'un modèle alternatif au Royaume-Uni) ;
les contrats (le Brexit n’est pas considéré comme un cas de force majeure) ;
les données personnelles (RGPD), les conditions de leur transfert étant un enjeu important ;
et les traités européens ayant des incidences sur l'activité exercée.
Enjeux fiscaux
Véronique Bied-Charreton, inspectrice générale des finances, ancienne directrice de la législation des finances, a expliqué que le Royaume-Uni va recouvrer sa liberté fiscale, notamment en matière de fiscalité indirecte (TVA).
Par ailleurs, cette souveraineté aura des implications principalement sur la taxation des importations et des exportations, sur la taxation des plus-values latentes en cas de transfert de siège, sur la possibilité d’intégrer les sociétés britanniques et sur les mesures anti-abus. Le Royaume-Uni ne devrait pas devenir un paradis fiscal, dans la mesure où existent des contre-pouvoirs (règles anti-abus découlant de l’OCDE auxquelles le Royaume-Uni a adhéré et risque « réputationnel »).
Parmi les nombreuses interrogations suscitées par le Brexit, se pose celle du régime français en faveur des impatriés et de l'opportunité ou non d'aller plus loin.
Enjeux patrimoniaux
Last but not least, Bertrand Savouré, notaire, président de la chambre des notaires de Paris, a évoqué le statut particulier du Royaume-Uni, qui s’était réservé la possibilité d’adopter ou non les réglementations européennes (opt in et opt out).
Compte tenu du faible nombre d'adhésions en matière patrimoniale, ce domaine sera peu bouleversé par le Brexit. Ainsi, à l’exception du divorce, pour lequel des règles de coopération renforcée lient le Royaume-Uni pour déterminer la juridiction compétente (Règl. n° 2201/2003, 23 déc. 2003, Bruxelles II bis), en matière de mariage, de libéralités et de successions, le Brexit ne modifiera pas la pratique notariale qui continuera d'appliquer le droit interne et les conventions franco-britanniques.
La conférence s’est terminée par un cocktail-anniversaire, précédé d’un hommage rendu par Jean Prieur et Bernard Savouré à Gérard Canalès, notaire honoraire et ancien président de la chambre des notaires de Paris, à l’origine de la création du Master 213 « Droit Notarial » et décédé le 2 mai 2018.
Rédaction Lextenso, Catherine Burban