Romuald Meigneux
Face à la crise sanitaire historique que subit le pays, le président du Conseil supérieur du notariat, Jean-François Humbert, nous apporte des éléments d'analyse relatifs au notariat.
Quelle est la situation du notariat ?
Réforme des retraites, réforme du tarif, puis crise sanitaire et fermeture sans précédent connu des offices. En à peine trois mois, le notariat se trouve confronté à la nécessité de s’adapter sur tous les fronts, ce qui ne peut susciter que de la crainte, voire des angoisses parfaitement compréhensibles. Cette crise que nous traversons actuellement, autrement plus forte que toutes les précédentes puisque l’activité est réduite des deux tiers au moins, pourrait engendrer de multiples divisions selon la manière dont les uns ou les autres ont réagi, selon les comportements collectifs et individuels, des divisions entre des études structurées et celles plus fragiles, en particulier un nombre conséquent d’études récentes.
Il est à ce jour évidemment prématuré d’évaluer les dommages, ce n’est même pas à l’ordre du jour. Le mois de mars aura été amputé de près de la moitié. Les mois d’avril et de mai connaîtront une réduction d’activité significative, mais seront aussi ceux d’un réamorçage progressif. Néanmoins, la production de chiffre d’affaires étant essentiellement centrée sur la fin des dossiers, il faudra attendre le courant de l’été pour revenir à une situation normale. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’anticiper, et de poursuivre l’instruction des dossiers en cours afin de réduire autant que possible le trou d’air que nous traverserons.
Comment se mobilise la profession ?
Les notaires se sont instinctivement regroupés au niveau des compagnies, leur communauté naturelle. Les présidents de chambre et des conseils régionaux ont su mobiliser, rassurer, conseiller et surveiller. Il faut saluer leur rôle. C’est dans ces circonstances que l’on peut évaluer la robustesse de notre organisation collective, et constater le dévouement de tous les élus de notre profession.
Les notaires ont également démontré qu’ils assumaient pleinement leur rôle social. Les offices sont au service de nos concitoyens. Et s’il était fondamental d’appliquer immédiatement, pleinement et complètement le confinement, s’il était primordial de veiller à la santé de nos collaborateurs, comme des notaires eux-mêmes et de leurs proches, il était tout aussi nécessaire que la profession reste mobilisée pour poursuivre son activité. C’est ce double appel que le CSN a lancé dès le premier jour : fermeture physique mais ouverture dématérialisée des offices. Les études ont su en quelques jours seulement modifier les habitudes de travail et utiliser les ressources de la dématérialisation pour y parvenir.
Dans ce cadre, par exemple, et pour relayer l’action des notaires, un numéro de service public et d’information a été ouvert, 3620 NOTAIRE pour répondre par téléphone aux demandes de renseignements sur nos domaines traditionnels d’activité, droit immobilier, droit de la famille, fiscalité, droit des affaires. C’est un exemple parmi d’autres des mobilisations de tous.
Quelles menaces discernez-vous pour l’avenir ?
La première menace qu’il fallait éviter aurait été celle de l’indifférence des pouvoirs publics parce que nous n’aurions pas été à la hauteur des enjeux, des nécessités de notre pays. La France n’est pas à l’arrêt, tous les secteurs ont l’obligation de maintenir une activité même réduite, et quelles que soient les difficultés. Demeuré en ordre de marche, le notariat apparaît bien comme un partenaire sérieux sur lequel l’État doit pouvoir s’appuyer.
Veillons cependant que des esprits mal intentionnés ne puissent pas tenter de faire croire le contraire. Alors qu’il était auparavant un partenaire, nous avons vu apparaître un adversaire qui n’a été que dénigrement, tentant avec une rare indécence de profiter de cette crise systémique pour contester le domaine de compétence du notariat.
Une autre menace pourrait résulter d’une effervescence dans la profession, exacerbée par un sentiment d’impuissance. Ce désarroi bien naturel d’une partie importante du notariat pourrait conduire au rejet des instances, de l’État, de tout ce qui fait la force collective et la solidarité. En temps de crise, il peut être tentant de rechercher les responsabilités chez les autres, quand en réalité nous ne devons que chercher avec nos forces une issue aux difficultés présentes. La question classique en de telles circonstances est de savoir s’il faut résister, ou s’adapter.
Soyons attentifs enfin à ce que nos collaborateurs soient toujours reconnus comme faisant totalement partie prenante du notariat. Ils sont un élément majeur de nos forces vives.
Que répondez-vous à ceux qui prédisent une crise de l’immobilier ?
Personne aujourd’hui ne peut prédire ce que sera le marché immobilier demain. Certes les secteurs de l’économie sont tous interdépendants, de sorte que l’immobilier ne fera pas figure d’exception. Mais tout ce sur quoi nous pouvons raisonnablement compter est que, si le redémarrage est vigoureux, s’il est soutenu par le secteur financier et par des décisions sages des autorités politiques, nos pays pourront rapidement retrouver le chemin du développement. Les précédentes crises de 2008 et 2013 ont eu pour origine des dérèglements majeurs de l’économie : crise de liquidité à raison du système fou des surprimes pour la première, et crise des dettes des États au sein de la zone euro pour la seconde. Aujourd’hui les fondamentaux de nos économies ne sont pas à l’origine de ce que nous vivons. Tout dépendra donc de la durée afin que les défaillances d’entreprise soient sinon évitées, ce qu’il faut espérer, du moins réduites au maximum.
Face au confinement, quelles sont les solutions alternatives que vous étudiez ?
La dématérialisation de l’activité notariale qui est un fait acquis depuis déjà de nombreuses années nous aura permis de répondre dans l’urgence à cette situation inédite. La quasi-totalité des actes sont établis sur support numérique, les espaces d’échanges avec nos clients, la visioconférence se développent rapidement. Certes il a fallu amplifier dans l’urgence ce mouvement. Les stations de télétravail ont été décuplées en quelques jours seulement. Il faut saluer la mobilisation de tous les partenaires informatiques de la profession, opérateurs de réseaux, SSII, ADSN.
Dans ces difficultés, la solidarité entre les notaires a également trouvé une occasion supplémentaire de se manifester par l’entraide organisée entre confrères. Peu de professionnels savent à ce point se mettre à la disposition de leurs voisins, et pourtant concurrents, pour leur venir en aide.
De ces nouvelles organisations des méthodes de travail, gageons qu’elles permettront à l’avenir aux notaires de répondre plus efficacement encore aux attentes de nos clients, aux souhaits de nos collaborateurs, pour lesquels le télétravail a prouvé son efficacité. Les offices les plus éloignés, qui peinent en temps ordinaire à recruter, sauront désormais en faire un argument fort.
Comme pour toute crise, il nous faudra analyser ce qu’elle nous a appris, et dont nous devrons également tirer parti pour en sortir plus forts.
(Propos recueillis par Liliane Ricco)
Rédaction Lextenso