Romuald Meigneux
À la faveur de la crise sanitaire qui a imposé le confinement est apparu un nouveau mode de comparution devant notaire : la comparution à distance par système de visioconférence sécurisée. La rapidité avec laquelle le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 a pu paraître (Defrénois 9 avr. 2020, n° 159k2, p. 5 ; Defrénois 9 avr. 2020, n° 159j2, p. 20, obs. Grimaldi M., Gijsbers C. et Reynis B.) tient en réalité à l’ancienneté des réflexions du notariat sur le sujet et de ses échanges avec la Chancellerie. Dès 2005, le décret relatif aux actes notariés envisageait la possibilité d’établir des actes à distance (D. n° 2005-973, 10 août 2005). La technologie de l’époque a conduit à limiter cette éventualité aux seules hypothèses dans lesquelles chaque partie se trouve aux côtés de son notaire. Cet acte à distance est opérationnel depuis déjà plusieurs mois.
Une durée d’application à raison limitée dans le temps
Cette comparution dématérialisée étant néanmoins une nouveauté, et ayant été introduite dans l’urgence, le texte, à raison, a prévu une durée d’application limitée dans le temps. Le décret du 3 avril 2020 cessera donc de produire effet un mois après la fin de la période d’urgence sanitaire. Néanmoins, ce qui constitue une expérimentation a souvent une vocation naturelle à être prolongé et pérennisé en tenant compte, en particulier, des retours d’expérience. Sur ce dernier point, une enquête a été réalisée auprès de l’ensemble des notaires de France. En 72 heures, plus de 3 300 d’entre eux ont répondu, ce qui permet de constater que les offices de toutes tailles ont eu recours à cette modalité d’établissement d’un acte authentique, que tous les domaines du droit en ont profité, et pas seulement les actes solennels qui requièrent une comparution devant notaire. Très majoritairement, les notaires qui ont eu recours à ce mode de réception ont fait le constat que les conditions préalables à l’authenticité ne s’en trouvaient nullement affaiblies.
Comparution à distance : des doutes levés
Certes, la crainte pourrait exister d’un échange atténué entre le notaire et son client, de telle sorte que le consentement à l’acte pourrait éventuellement faire défaut pour n’avoir pas été suffisamment éclairé. L’expérience nous enseigne exactement le contraire. Mais il appartient bien évidemment au notaire de faire preuve du plus extrême discernement et de savoir quand son client a été véritablement informé, s’il est pleinement renseigné et, par voie de conséquence, d’apprécier la liberté d’engagement des parties. Des auteurs se sont interrogés, à juste titre, sur la pertinence de cette modalité de comparution et sur sa compatibilité avec la qualité de l’échange qui doit présider aux relations entre un notaire et son client. Des doutes légitimes ont pu être émis. La réalité, après expérimentation, conduit à estimer qu’il n’en est rien, sous réserve de savoir y renoncer si le client apparaît insuffisamment sécurisé, de même que lorsque la qualité technique de la séance ne se situe pas à un niveau optimum. Cela fait partie intégrante de la responsabilité du notaire, des solennités requises pour recevoir un acte authentique, que le client comparaisse devant lui physiquement ou à distance. Or chacun sait que notre pays n’est pas équipé de manière uniforme. Il est vrai aussi que des pressions pourraient être exercées dont le notaire n’aurait pas nécessairement connaissance, son champ de vision pouvant être restreint. Il s’agit bien là de conditions matérielles qui militent pour redoubler de prudence et de vigilance mais qui ne doivent pas conduire à écarter a priori et de manière définitive ce qui constitue incontestablement une adaptation aux besoins d’une clientèle vivant dans un monde numérique, qui a l’habitude d’effectuer des échanges dématérialisés et qui demande même que dorénavant son travail puisse être effectué à distance selon de nouvelles modalités d’organisation.
L'acte notarié banalisé ou marginalisé : les deux dangers
Le recours à la comparution à distance souligne deux dangers qui pourraient guetter l’acte notarié. Sera-t-il banalisé s’il avance dans la voie d’une plus grande dématérialisation, ou sera-t-il marginalisé s’il s’y refuse ? Recourir à des procédés numériques est-il de nature à affaiblir l’acte au point que plus grand-chose ne le séparerait d’un acte sous seing privé ou, refusant cette évolution des choses, l’acte notarié deviendra-t-il trop compliqué, trop complexe à établir, relié à un rituel hermétique aux yeux des clients, et devant être réservé à quelques hypothèses marginales ? Le débat n’est pas nouveau. Déjà il présidait aux discussions qui permirent l’adoption de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, pour refuser selon certains que l’acte authentique puisse être établi sur support électronique. Seul le support traditionnel devait être préservé. Les notaires allemands le considèrent encore à ce jour, et le pratiquent ainsi. Néanmoins, aujourd’hui, plus de 90 % des actes notariés français sont établis sur support électronique, sans qu’il en soit résulté aucune altération de ses qualités.
Ces réflexions comme ces projets ne sont pas propres à notre pays. La crise sanitaire qui a conduit au confinement des populations a ainsi amené la Belgique à adopter par voie législative la possibilité pour les notaires d’établir des procurations authentiques sans comparution physique des mandants, mais uniquement dans le cadre d’une comparution dématérialisée. La Lettonie et l’Estonie pratiquent également l’acte authentique par comparution à distance. Le Québec et l’Autriche ont rejoint cette liste récemment, au moins pour un temps.
De la nécessité d’adapter les procédures
En dehors de l’établissement des actes, la dématérialisation des activités économiques conduit à adapter nombre de procédures qui dorénavant doivent pourvoir être réalisées en ligne. Créer et immatriculer de cette manière des sociétés deviendra prochainement obligatoire. Entrée en vigueur le 31 juillet 2019, tous les États membres devront avant le 1er août 2021 transcrire la directive (UE) n° 2019/1151 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 modifiant la directive (UE) n° 2017/1132 qui impose la possibilité de constituer des sociétés et de les immatriculer directement en ligne. L’Autriche a d’ores et déjà intégré la possibilité pour un notaire de recevoir des statuts par comparution à distance. L’Espagne s’y prépare, de même que l’Allemagne. En France la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE) a anticipé certaines dispositions de cette directive en introduisant une dématérialisation totale du processus de création des sociétés.
Les conditions de l’établissement de l’acte avec comparution à distance
Pour parvenir à l’établissement d’un acte avec comparution à distance, trois conditions doivent être remplies : un système de visioconférence pleinement sécurisé, l’identification certaine de la personne et un mode incontestable de recueil de son consentement.
1. La sécurité tout d’abord du système de visioconférence est primordiale. L’acte notarié est unique. Il ne saurait être question qu’en fonction du support ou du mode d’établissement des échanges entre le notaire et son client des divergences puissent apparaître. Des mesures de sécurité spécifiques doivent être apportées à la séance de visioconférence. L’article 1er, alinéa 2, du décret du 3 avril 2020 dispose que « l’échange des informations nécessaires à l'établissement de l'acte et le recueil, par le notaire instrumentaire, du consentement ou de la déclaration de chaque partie ou personne concourant à l'acte s'effectuent au moyen d'un système de communication et de transmission de l'information garantissant l'identification des parties, l'intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat ».
C’est donc en application de ce texte que les mesures suivantes ont été prises par le Conseil supérieur du notariat (CSN) qui tiennent tout à la fois à la sécurité de l’infrastructure cloud à laquelle il est fait recours, à la prise en compte des contraintes fixées par le règlement européen sur la protection des données – RGPD – et inhérentes à la confidentialité des échanges, et afin de veiller à ce que les notaires demeurent souverains dans le contrôle de leur service, d’où le paramétrage des outils opéré par leur profession.
Ces nécessités ont conduit :
à la création d’un espace virtuel fermé, donc isolé, dans un cloud dédié au notariat ;
à l’anonymisation des données qui transitent dans cet espace cloud. Aucune métadonnée (données de la profession) n’est stockée dans cet environnement ;
l’annuaire de la profession reste dans les data center de la profession ;
à la mise en place d’un chiffrage dynamique ; afin d’assurer la confidentialité des échanges, chaque session de visioconférence possède une clé de chiffrage générée par le système pour une seule session ;
à l’impossibilité d’enregistrer les sessions sur cette infrastructure centrale dont le système de paramétrage est contrôlé par la profession ;
lors d’une session de visioconférence initiée à partir d’un office, le flux audio/vidéo passe par le réseau privé de la profession agréé par le CSN, ce qui lui garantit un niveau de qualité et de sécurité supplémentaire, que n’offre pas le réseau public internet.
Le système agréé et utilisé par les notaires répond à ces exigences. Il peut être relevé qu’à ce jour, l’unique solution de visioconférence certifiée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a recours également à une communication audio/vidéo chiffrée, un accès sécurisé aux réunions et une vérification intégrale de la chaîne de certification, toutes mesures retenues pour agréer le système de communication du notariat.
Des propositions commerciales ont pu être faites, qui utilisent des systèmes grands publics mais qui ne sont pas de nature à répondre à l’exigence de qualité, de discrétion, et de sécurité requise. Au surplus, aucune interopérabilité n’existe entre ces solutions, ce qui leur interdit de communiquer entre elles.
2. L’identification du signataire, en second lieu, pose davantage de questions que la simple reconnaissance de la personne qui assiste à la séance. Elle ne saurait se résumer à la simple reconnaissance d’une personne connue. Chacun sait bien les dangers d’intrusion et de falsification d’identité au moyen des technologies actuelles les plus avancées. Et il est fort à craindre que la malignité conduira à des outils toujours plus sophistiqués pour tenter de violer l’identité d’une personne dans un environnement dématérialisé. Comment se prémunir d’une telle intrusion ? Ce n’est pas par la seule reconnaissance visuelle que peut être garantie de manière certaine l’identité du client, même connu de longue date du notaire. La fraude documentaire, la copie falsifiée des pièces d’identité peuvent être détectées à l’occasion d’une présence physique. Ce processus est infiniment plus complexe dans le cadre d’une séance à distance. Il convient dès lors de faire appel à des outils de vérification des documents d’identité et de leurs titulaires pour éviter toute usurpation.
Des solutions techniques existent à ce jour qui permettent d’effectuer cette vérification et de s’assurer que la personne qui se trouve derrière son terminal est bien celle qui prétend l’être. Ces solutions logicielles font également appel à des outils de reconnaissance faciale pour comparer la photographie d’identité qui se trouve sur la pièce d’état civil avec la photographie que l’utilisateur prend de lui-même. De même, enfin, des processus de détection du vivant sont à même de s’assurer que ce n’est pas un hologramme qui a pris la main pour se faire passer pour le client.
Le notaire, officier public, est dans son rôle s’il procède à ces vérifications, assisté d’une technologie adaptée. Seules diffèrent en fonction des modes de comparution les techniques utilisées, comparution physique ou comparution dématérialisée. Mais la comparution à distance requiert le recours à des outils complexes pour garantir une sécurité incontestable. Les outils et modes opératoires imposés en application du décret du 3 avril ont semblé inhabituellement lourds. La technologie progresse rapidement et il est à parier que des solutions plus ergonomiques et plus intelligibles pour les clients se dégageront dans un avenir proche.
3. L’identité du comparant étant avérée, demeure la question du mode de recueil de son consentement. Certains auteurs ont pu avancer que ce recueil est effectué par le notaire qui en atteste la réalité, et que dès lors la matérialité de la signature qui concrétise le consentement deviendrait secondaire, voire inutile. D’aucuns avancent même qu’il s’agirait de la logique du statut du notaire en qualité d’officier public. Cette voie apparaît très dangereuse dès lors que, tout d’abord, elle conduirait à faire une distinction selon les actes authentiques. Pourquoi un acte établi sur support papier ou un acte établi sur support électronique avec comparution physique serait-il signé par le client et ne le serait plus dès lors que la comparution est dématérialisée ? L’unicité de l’acte authentique doit être préservée quel que soit le support, quels que soient les modes de comparution.
En outre, priver le client de cette matérialisation de son consentement conduirait inévitablement à lui faire douter, parfois, d’avoir parfaitement saisi la portée de son engagement. Il n’en restera alors aucune trace concrète. Cette voie périlleuse doit être écartée d’autant qu’elle serait totalement incomprise, à juste titre, par les signataires des actes authentiques. L’engagement qui résulte de la signature d’un acte notarié est à ce point contraignant que la force probante attachée à l’acte lui interdit de contester celui-ci sauf à recourir à la procédure d’inscription de faux. Comment lui faire prendre un tel engagement sans recourir à la plénitude des solennités requises imposées par le Code civil pour établir un acte authentique. L’article 1369 du Code civil définit l’acte authentique comme « celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter ». Parmi ces solennités figure d’évidence le recueil de la signature. Par comparaison, comment serait compris un mariage si, à l’issue du recueil du consentement par l’officier d’état civil, les époux n’étaient pas invités à signer aussi l’acte qui reproduit leur engagement ?
Les pouvoirs publics ont manifesté cet attachement lorsqu’en 2005, modifiant le décret de 1971 sur l’acte notarié pour y introduire le support électronique, la reproduction de l’image de la signature a été imposée sur une tablette graphique. L’article 17 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 issu de la rédaction du décret n° 2005-973 du 10 août 2005 dispose en effet que « pour leur signature, les parties et les témoins doivent utiliser un procédé permettant l'apposition sur l'acte notarié, visible à l'écran, de l'image de leur signature manuscrite ».
La matérialité de la signature
Le client n’étant pas physiquement présent pour apposer cette empreinte, comment donc dorénavant requérir la matérialité de sa signature ? Le décret du 3 avril 2020, dans un souci de sécurité optimale, a exigé le recours à « un procédé de signature électronique qualifié répondant aux exigences du décret du 28 septembre 2017 ». C’est ce dernier texte (D. n° 2017-1416, 28 sept. 2017) qui définit les modalités d’établissement de la signature électronique et qui prévoit que sa fiabilité dépend d’un niveau de certification qualifié au regard du règlement européen (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur.
Cette modalité technique requiert donc le recours à un procédé de délivrance de jetons de signature, à l’issue d’une procédure d’envoi de codes. Certains se sont interrogés sur la possibilité de retenir un mode plus simple que celui issu de l’exigence d’une signature électronique qualifiée. Le client signe en effet son acte au cours de la séance de visioconférence, en présence donc du notaire, sous son regard et sous son contrôle. De telle sorte que pourrait peut-être être envisagé de s’en tenir aux modalités de reproduction de l’image de la signature manuscrite sur un support entre les mains du client, tel qu’un smartphone ou une tablette. Quelle que soit l’option retenue, le point important est que la signature doit intervenir devant le notaire qui la recueille, au cours de la séance de visioconférence. Cette signature ne peut pas être apposée par la partie à l’acte, qui agirait seule hors la présence à distance du notaire.
L’acte établi par comparution à distance n’est pas un acte authentique altéré. Au contraire, il est sans doute possible de soutenir que cette modalité de recueil du consentement, à l’issue d’une séance de renseignements et d’échanges d’informations, permettrait de mettre un terme à une pratique trop souvent utilisée qui, pour répondre à un besoin matériel, conduit à solliciter l’établissement de procurations par actes sous seing privé. Cette procuration qui autorise la représentation aux termes de l’acte authentique ne porte-t-elle pas atteinte à l’authenticité de la convention dans son ensemble ? Par la comparution à distance, cette procuration pourrait être dorénavant exclusivement authentique. Elle serait surtout établie à l’issue d’une réunion au cours de laquelle toutes les informations utiles et nécessaires auront été fournies, ainsi que tous éclaircissements. L’authenticité ne se réduit pas seulement à l’acte. Elle n’est pas immanente à un rite assorti de formules dont le notaire serait le ministre et le client le spectateur passif. Elle est le fruit, l’aboutissement d’un processus, d’un cheminement qui garantissent la parfaite connaissance par celui qui s’engage de ses droits et de ses obligations et des conséquences de son engagement. C’est, depuis ses origines, la vocation du notariat.
En conclusion
La comparution à distance sera définitivement intégrée dans notre ordre juridique. Pour parvenir à cette pérennité, des ajustements sont nécessaires par rapport à la procédure définie par le décret du 3 avril 2020. Mais il faut reconnaître à ce dernier texte l’immense mérite d’avoir fait progresser un débat qui, depuis 15 ans, mobilise de très nombreux juristes, notaires, magistrats.
En qualité de Président du CSN, j’ai été associé aux travaux qui ont conduit au décret en Conseil d’État du 3 avril, et j’ai jugé utile de partager dans ce qui précède les réflexions et les doutes dont j’ai été le témoin dans les jours qui ont précédé la finalisation du texte, puis dans ses quelques mois de mise en œuvre. Cette page n’est pas une plateforme de programme d’action et il ne me revient pas de prétendre y dessiner l’avenir. Mais il est indiscutable que les instances du notariat et les pouvoirs publics devront à la fois étudier les conditions de prolongation de ce décret d’urgence, et s’efforcer de dégager des solutions viables économiquement, protectrices des intérêts juridiques de nos concitoyens et des intérêts stratégiques du droit continental. Sécurité, ergonomie, souveraineté, feront partie des maximes qui présideront certainement à ces travaux.
Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat