Après cinq années d’application, le Conseil supérieur du notariat (CSN) a souhaité faire le bilan de la loi Croissance du 6 août 2015 et a présenté le 16 septembre dernier un rapport d’évaluation exhaustif de cette réforme, exemple inédit de libéralisation massive d’un secteur réglementé.
Ce rapport « La loi Croissance pour le notariat – rapport d’évaluation 5 ans après » permet de faire, avec le recul nécessaire, un bilan rétrospectif de la loi établi au terme de plusieurs mois d’analyses, étayées par des données chiffrées incontestables de tous les offices de France. Le rapport parlementaire d’évaluation d’octobre 2018 intervenait trop tôt, 3 ans après la loi, et à peine 15 mois après les premières créations d’offices.
En soulignant les questions non résolues ou les problèmes suscités par la réforme, le rapport du CSN veut mener une réflexion sur les enseignements à tirer de ces 5 années.
Il propose des mesures d’amélioration afin d’ouvrir des perspectives de croissance pour le notariat, une profession qui a été profondément bouleversée depuis 2015.
À travers ce rapport, le CSN entend souligner que, si une réforme était nécessaire, sa mise en application aurait dû faire l’objet d’une concertation et d’un calendrier réaliste afin d’éviter les mécomptes et de graves déséquilibres. Ce bilan met néanmoins en exergue de réelles avancées permises, à la fois, par la loi Croissance et la mobilisation de la profession et de ses instances.
Une réforme nécessaire dont la mise en application est incertaine
Le CSN n’a jamais contesté la nécessité de faire évoluer la profession, ni d’accélérer certaines transformations. Mais il regrette la façon dont la loi Croissance a été mise en application et l’approche théorique de l’Autorité de la concurrence (ADLC) dont les avis publics ont influencé, et certainement infléchi, les décisions ministérielles.
Entre 1960 et 2015, trop peu d’offices avaient été créés. La loi Croissance a hélas conduit à l’excès contraire avec un essor sans précédent des créations en deux vagues beaucoup trop rapprochées : une première en 2017, une deuxième en 2019, qui a abouti à + 36 % d’offices en 2 ans.
La mise en application de cette loi Croissance a été marquée par une forme de précipitation de tous les acteurs. Le mécanisme baroque du tirage au sort en est l’une des meilleures preuves.
Des résultats économiques contrastés avec un taux notable de défaillance d’offices
Les 10 % qui réussissent le mieux parviennent à peine à la médiane des produits des offices. Seul un quart des offices créés affiche une performance économique satisfaisante (et parmi ceux-ci, une moitié réussit très bien). Il faut noter que si un tiers des offices créés semble pour le moment tout à fait viable, 40 % soit ne parviennent pas à décoller, soit sont dans un état d’inactivité patente.
Une proportion significative de nouveaux offices n’a pas passé le cap des 3 années : 294 suppressions d’offices ont été comptabilisées sur les 2 161 créés et un nombre important d’offices est à l’état virtuel ou invisible. Cela fait au total un tiers des créations. Dans certaines zones d’emploi, on atteint 40 % de « taux d’échec ».
Une mise en œuvre de la loi Croissance facteur de déséquilibres
On note l’apparition d’offices de petite taille, à notaire unique, avec un très petit nombre de salariés, et dans près de 30 %, une absence complète de salariés. Moins de 10 % ont quatre salariés et plus.
Le CSN regrette également que la révision biannuelle des tarifs ne repose pas sur une véritable analyse économique et prospective des cycles d’activité du notariat, et n’inclut pas les évolutions de conjoncture.
La violence de l’épisode de confinement et la sévère récession économique de 2020 apportent la démonstration que le pilotage des tarifs de la profession en mode « rétroviseur » ne peut conduire qu’à une dangereuse impasse.
Enfin, le choix des zones d’emploi comme zones de libre installation a eu pour corollaire une liberté de transplantation dans toutes les zones dites vertes qui recouvrent les deux tiers du territoire. De manière perceptible, les offices des zones rurales se sont déplacés vers les chefs-lieux. Le maillage territorial s’est retrouvé affecté.
De réelles avancées permises par la réforme
Le rapport note une féminisation renforcée, accélération visible d’une évolution démarrée depuis le tournant de l’an 2000, ainsi qu’un rajeunissement de la population de notaires de l’ordre de 2 ans en l’espace de 3 années. De nouveaux profils de professionnels sont apparus, de belles aventures humaines ont démarré.
Parallèlement, la loi Croissance a stimulé la capacité d’innovation et d’adaptation de la profession. Cela s’est traduit par une intensification de la démarche qualité et de la communication de la profession dans le respect de la déontologie. Les notaires ont développé une approche client plus étoffée, tant en termes de services (espace d’échanges partagé, visioconférence, sites internet), que d’écoute des attentes comme de la satisfaction. En cela, la profession a su s’emparer de cette loi pour accélérer le chantier de transformation engagé déjà depuis quelques années.
Contrairement à une idée reçue, les créations d’offices sont responsables de moins d’un quart de la hausse des effectifs du notariat sur la période 2016-2019. Il est donc inexact d’affirmer que la réforme a contribué à accroître sensiblement l’emploi.
Une profession et des instances mobilisées pour l’accueil des nouveaux notaires et la défense du maillage territorial
Les instances nationales et territoriales se sont mobilisées pour accompagner les notaires issus de la loi Croissance, souhaitant la réussite de chaque office nouvellement créé.
Des efforts considérables ont été déployés pour l’accueil et l’accompagnement des nouveaux notaires. Le CSN a organisé en 2018 et 2019 deux réunions d’accueil auxquelles ont participé au total près de 2 000 nouveaux notaires.
Localement, des centaines d’actions d’intégration ont été conduites.
En parallèle, des actions destinées à apporter un soutien multiforme aux offices situés dans des agglomérations de moins de 15 000 habitants ont été mises en place.
Les améliorations demandées par le CSN
Le CSN souhaite les améliorations suivantes :
ne pas engager une 3e vague de créations avant complète exécution des deux premières et analyse des résultats obtenus ; cela est d’autant plus important dans un contexte économique incertain ;
mettre fin au système de tirage au sort afin que les nouveaux offices soient créés par la voie du concours, le mérite républicain devant se substituer au hasard ;
faire du bassin de vie la référence principale de la carte d’installation, plutôt que le bassin d’emploi comme actuellement ;
allonger la périodicité de révision de la carte d’installation comme des tarifs de 2 à 5 ans ;
supprimer, ou à défaut réserver aux seules personnes physiques, la mesure dite d’écrêtement des émoluments ;
interdire aux sociétés existantes l’accès aux créations d’offices ;
demande de contreparties aux pouvoirs d’enquête de l’Autorité de la concurrence dans le cadre de ses fonctions consultatives ;
donner accès aux données économiques et financières des offices, sans qu’on oppose le secret des affaires aux instances professionnelles régionales et départementales.
(CSN, communiqué de presse 16 sept. 2020)
Rédaction Lextenso