« Le changement est d’abord un état d’esprit » expliquait le Président Jacques Chirac ; encore faut-il que l’état d’esprit soit présent.
Le rapport déposé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le régime juridique des baux ruraux, présenté par Messieurs Jean Terlier et Antoine Savignat, rapporteurs et députés, le 22 juillet 2020, avance 18 recommandations (https://lext.so/Rappinfbauxruraux).
Dès son introduction, ce rapport justifie ses choix en affirmant « la nécessité de maintenir un statut d’ordre public et celle de l’adapter pour garantir sa survie ».
Des domaines divers sont abordés, tels que la fiscalité, l’accession pour les jeunes agriculteurs au plus grand nombre de terres, les procédures collectives, les baux, le contrôle des structures, ou encore la procédure devant le tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR).
L'objectif demeure la protection du fermier, tout en ambitionnant de « préserver – pour les bailleurs – l’attractivité du régime juridique des baux ruraux ».
Recommandation n° 1
La fiscalité
La fiscalité est traitée aux termes de la première recommandation. Celle-ci préconise « des incitations fiscales bénéficiant aux propriétaires pour encourager la mise à bail des terres agricoles ».
Mais de quelles « incitations fiscales » s’agit-il ? Le rapport ne le précise pas. La seule référence pratique est celle des exonérations existantes en matière de transmission à titre gratuit et d’impôt sur la fortune immobilière pour les baux ruraux à long terme.
Recommandation n° 2
L’accession au foncier des jeunes agriculteurs
Cette accession, pour bizarre que cela puisse paraître, est abordée par le biais de « la parcelle de subsistance ». Bien que le service d’une pension de retraite soit subordonné à la cessation définitive de l’activité non salariée agricole, le Code rural et de la pêche maritime autorise l’agriculteur retraité à conserver une parcelle pour ses besoins personnels (C. rur., art. L. 732-39, al. 6) ; le rapport recommande de « compléter l’article L. 732-39 (…) afin d’obliger l’agriculteur retraité à prendre prioritairement sa parcelle de subsistance parmi les terres dont il est propriétaire », ceci pour « permettre la mise à disposition du plus grand nombre de terres » au profit des nouveaux installés.
Même si la proposition apparaît logique – mieux vaut exploiter son propre fonds que celui du voisin –, on peut se demander en quoi elle est de nature à favoriser « la mise à disposition du plus grand nombre de terres » …
Recommandation n° 3
Les procédures collectives
La troisième recommandation concerne la protection des structures en société. Elle propose « de permettre aux exploitations agricoles en société de bénéficier de la protection du droit des procédures collectives, sous réserve des adaptations nécessaires à la réalité économique et juridique du monde agricole ».
À ce jour, les agriculteurs, personnes physiques ou morales, sont bien concernés par les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, au même titre que toute personne exerçant une profession indépendante.
L’application de ces procédures aux sociétés agricoles peut effectivement poser des problèmes particuliers, notamment concernant la mise à disposition du bail rural ou d’un bien appartenant à un associé exploitant au profit de la société.
Si le bail est consenti à la société, le tribunal peut décider la cession du bail dans les conditions spécifiées à l’alinéa 3 de l’article L. 642-1 du Code de commerce ; si le bail est mis à la disposition de la société par l’un des associés exploitants, cette cession n’est naturellement pas possible, la société n’étant pas locataire. De même, aucun texte n’impose à un propriétaire exploitant qui met à disposition de la société ses terres (C. rur., art. L. 411-2, dernier alinéa) de consentir un bail à un quelconque repreneur (CA Dijon, 17 juin 2008, n° 08/00667 : RD rur. 2008, comm. 241, note Barbieri J.-J.).
Recommandation n° 4
Le bail rural cessible
La quatrième recommandation vise le bail cessible et préconise de « mieux définir, en particulier dans le bail cessible, les conditions de la cessibilité et les modalités de calcul de l’indemnité de résiliation ». Selon les rapporteurs, l’échec du bail cessible tiendrait « à l’inconvénient pour le preneur de ne pouvoir le céder qu’à des cessionnaires extérieurs aux membres de la famille visés à l’article L. 411-35, et au coût élevé pour le bailleur de la rupture de ce contrat ».
Concernant la cession de ce bail, elle peut intervenir au profit de toute personne, interne ou extérieure au cercle familial, même visée à l’article L. 411-35 du Code rural ; la recommandation paraît, sur ce point précis, déconcertante.
Concernant le coût de la rupture du contrat, nous renvoyons le lecteur à notre étude sur le bail cessible (« Le bail rural cessible : une réalité économique », Defrénois 19 sept. 2019, n° 151f6, p. 19). Le texte (C. rur., art. L. 418-3, al. 3), calqué fâcheusement sur l’équivalent en matière de baux commerciaux, renvoie inévitablement le praticien à la solution de l’expertise.
Recommandations nos 5 à 10 et 14 à 16
Les baux ruraux
Les recommandations nos 5 à 10 et 14 à 16 visent les baux ruraux en général et suggèrent :
« d’ouvrir la possibilité, en cas d’accord écrit des deux parties, de fixer des clauses supplémentaires dans le contrat de bail rural afin de permettre, notamment, des sous-locations temporaires ou des activités annexes en contrepartie d’une majoration du fermage ou d’un partage des revenus issus de ces dérogations » (recommandation n° 5). En période de crise, cette recommandation offre effectivement, comme le spécifie le rapport, « l’opportunité de développer de nouvelles activités économiques en zone rurale (ferme-auberge, vente directe) » et, pourquoi pas, un glissement vers une agriculture biologique et le respect d’obligations réelles environnementales, que le rapport vise expressément, sans prévoir, toutefois, de recommandations ;
une « remodélisation » de la fixation des indices du prix du fermage, sans toutefois prévoir de déplafonnement, en tenant compte des prix du marché (recommandation n° 6) ;
une résiliation automatique du bail, constatée judiciairement, après deux mises en demeure non suivies d’effet (recommandation n° 7) ;
de substituer, comme motif de résiliation de bail, le « défaut d’entretien » des biens loués à l’exigence pour le bailleur de démontrer la compromission de la bonne exploitation du fonds (C. rur., art. L. 411-31) (recommandation n° 8) ;
« de modifier la procédure de révision en fermage anormal, en rendant possible la saisine du TPBR au cours de la 6e année après la conclusion du bail », au lieu de la 3e actuellement, pour éviter que certains preneurs acceptent de traiter à un fermage anormalement haut puis « enclenchent trois ans plus tard la procédure de révision » (recommandation n° 16) ;
de recourir au bail écrit, qui permettrait de bénéficier des dispositions résultant des recommandations n° 1 (avantage fiscal) et n° 9 (limitation du nombre de renouvellements, détaillée ci-après) (recommandations nos 14 et 15).
Les recommandations nos 9 et 10 méritent une attention particulière.
Recommandation n° 9. Celle-ci propose de « limiter à trois fois neuf ans le nombre de renouvellements du bail rural, lorsqu’il est écrit, et donner la possibilité d’un quatrième renouvellement si le preneur se trouve à moins de neuf ans de la retraite », afin de donner aux propriétaires « un horizon temporel de récupération de la jouissance de leur bien ». Une perspective temporelle de récupération quasi incertaine pour le bailleur, s’agissant d’un bail de 36 ans (9 ans + 3 x 9 ans), augmenté à coup sûr d’un nouveau renouvellement (de 9 ans ou d’une durée égale à l’âge de la retraite du preneur, la recommandation est muette sur ce point) ; en tout état de cause, le preneur conserverait la faculté de cession, réinitialisant ainsi le délai.
Le bail rural à récupération planifiée existe déjà dans notre arsenal juridique, en nettement plus efficient, avec le contrat de bail de 25 ans au moins, qui, soit ne comporte pas de clause de renouvellement par tacite reconduction, prenant fin au terme stipulé sans que le bailleur soit tenu de délivrer congé (C. rur., art. L. 416-3, al. 2), soit comporte une clause de renouvellement par tacite reconduction (sans fixation de durée), prenant fin avec un congé délivré avec un préavis de 4 ans (C. rur., art. L. 416-3, al. 1er), la cession ou la transmission par décès n’interférant pas sur la fin programmée du contrat.
Il est vrai que la recommandation se généraliserait à tous les baux écrits, alors que ce bail spécifique de 25 ans au moins, avec ou sans clause de tacite reconduction, nécessite une volonté contractuelle.
Recommandation n° 10. Celle-ci propose, « en cas de cession à titre onéreux de biens ruraux, [de] ne pas appliquer la décote liée aux terres occupées lorsque le preneur fait usage de son droit de préemption ». Effectivement, dans le cadre d’une purge de son droit de préemption, le preneur en place, qui « estime que le prix et les conditions demandées de la vente sont exagérées », peut « saisir le tribunal paritaire qui fixe, après enquête et expertise, la valeur vénale des biens et les conditions de la vente » (C. rur., art. L. 412-7, al. 1er).
La jurisprudence de la Cour de cassation, constante en la matière, décide que le tribunal, saisi par le preneur rural ayant exercé son droit de préemption d'une action en fixation de la valeur vénale du fonds vendu, doit prendre en considération, pour fixer cette valeur vénale au jour de la vente, la moins-value résultant de l’existence du bail (Cass. 3e civ., 7 nov. 1990, n° 89-12226 : Bull. civ. III, n° 220).
La solution semble logique : le bien loué doit être estimé en fonction de son état d’occupation, quelle que soit la qualité de l’acquéreur, tiers ou locataire.
Doit-elle pour autant perdurer ? Si un tiers acquéreur accepte de payer le bien plus cher que la valeur louée, pourquoi le fermier ne devrait-il pas s’aligner, sans, toutefois, aller au-delà de l’expertise décidée par le tribunal ?
Recommandation n° 13
Le contrôle des structures
Le rapport reconnaît « un besoin de simplification du contrôle des structures », sans pour autant faire de proposition(s) globale(s). La recommandation la plus surprenante étant celle n° 13 : « permettre l’exercice du contrôle des structures sur les cessions partielles de parts sociales ».
Cette recommandation se fonde sur le constat suivant : de telles cessions partielles échappent au droit de préemption de la SAFER et au contrôle des structures.
Pour les SAFER. Le conseil constitutionnel considère (à juste titre) qu’il s’agirait, ni plus ni moins, d’une « atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre » (Cons. const., 16 mars 2017, n° 2017-748 DC, visée dans le rapport).
Pour le contrôle des structures. Selon le rapport, « il s’agit d’un véritable “trou dans la raquette” du contrôle des structures ». « Trou » qui n'en est pas vraiment un, et qu'il convient de justifier. Effectivement, ne sont pas soumises à autorisation administrative :
les cessions de parts entre associés ; cette exclusion s'explique avec la disparition de la règle du quotient résultant de la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 (L. n° 99-574, 9 juill. 1999). En cas de demande d'autorisation administrative d'exploiter, dans les superficies déjà mises en valeur par le demandeur, il est tenu compte, en cas d'exploitation en société, de la totalité des surfaces exploitées par celle-ci ;
les cessions de parts à un tiers déjà exploitant, sauf pour l’exploitant en question à ne pas dépasser, concernant la surface totale qui sera mise en valeur par lui – dont la totalité des surfaces exploitées en société –, le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Recommandations nos 17 et 18
Le tribunal paritaire des baux ruraux
Les deux dernières recommandations concernent la procédure devant le tribunal paritaire des baux ruraux, et plus particulièrement l’audience de conciliation.
La recommandation n° 17 préconise :
a. l’obligation de représentation par un avocat devant les TPBR dès l’audience de conciliation, justifiée :
par l’importance de cette audience qui, bien menée, doit, dans la mesure du possible, parvenir à un accord entre les parties ;
par la nécessité d’un conseil avisé, connaissant le droit rural, pour que cet accord puisse se conclure. Le rapport ne le précise pas, mais un notaire pourrait très bien tenir ce rôle ;
b. en l’absence de représentation obligatoire, de prévoir une double audience avant le renvoi au jugement.
François Delorme, notaire à Blérancourt