Le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital a été installé en décembre 2018, un an après le lancement de la profonde rénovation de la fiscalité du capital : instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) ; remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt recentré sur la fortune immobilière (IFI) ; baisse de l’impôt sur les sociétés (IS).
C’est dans le contexte actuel de la pandémie de Covid-19, qui a directement affecté ses travaux, que le comité a publié son deuxième rapport. Les travaux du comité ont progressé, avec notamment un éclairage plus poussé de la position de la France avant et après réforme par rapport aux autres pays développés en matière d’imposition des ménages sur leur patrimoine et sur les revenus qu’il génère. Des éléments chiffrés supplémentaires sont ensuite apportés.
De ces nouveaux travaux, le comité retient les enseignements suivants.
Le positionnement de la France en comparaison internationale
Exprimés en pourcentage du PIB, les prélèvements sur le capital en France – soit l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d'une détention, d'un revenu ou d'une transmission de patrimoine – demeurent après les réformes de 2018 parmi les plus élevés en termes de standards internationaux. En 2018, les prélèvements sur les revenus du capital des ménages ont augmenté de près de 0,2 point en part de PIB.
Alors que les taux marginaux d’imposition effectifs (TMIE) de la France apparaissaient non seulement au-dessus de la moyenne internationale mais aussi, pour certains actifs, les plus élevés des pays (produits obligataires, fonds d’investissement), les réformes de 2018 ont conduit à les ramener à des niveaux proches de la moyenne sur les actifs mobiliers. Cette convergence est particulièrement visible pour les contribuables les plus aisés. Avec la mise en place du PFU et la suppression de l’ISF, la France rejoint de fait la situation majoritaire des pays où les revenus de capitaux mobiliers sont imposés à un taux unique (flat tax) et où il n’existe pas d’imposition annuelle sur le patrimoine mobilier.
La position de la France reste en revanche inchangée sur les actifs immobiliers (sauf pour les contribuables précédemment assujettis à l’ISF et dont le montant d’actifs immobiliers demeure en deçà du seuil d’imposition à l’IFI).
Les éléments chiffrés à la suite des réformes
Les placements financiers des ménages ont fortement augmenté en 2019 (de 95 à 143 milliards d’euros). Pour les sociétés non financières, la part des actions cotées (2,3 %) et non cotées (32,7 %) dans les flux de financement a été inférieure à la moyenne observée lors des vingt dernières années.
Les levées de fonds de capital-investissement auprès des investisseurs particuliers plafonnent depuis 2016. Le seul effet notable depuis 2018 concerne la chute des levées de fonds pour les FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation) et les FIP (fonds d’investissement de proximité), probablement du fait de la suppression de la niche ISF-PME, mais cette chute a été compensée par un surcroît de capital-investissement via d’autres canaux.
La forte progression des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 (23 milliards d’euros, après 14 milliards en 2017) est comparable par son ampleur à la chute enregistrée en 2013, au moment où les revenus mobiliers ont été intégrés au barème progressif de l’IR. Ce rehaussement du niveau de dividendes reçus par les ménages se confirme en 2019 (augmentation supplémentaire de l’ordre de 3 milliards d’euros). Les plus-values « de droit commun » réalisées par les ménages augmentent fortement elles aussi en 2018 (+ 5 milliards), mais celles avec abattement renforcé sont en baisse en 2018 (- 3 milliards d’euros, contre + 2,4 milliards en 2017). Les intérêts reçus par les ménages s’inscrivent en baisse et ne semblent donc pas avoir été affectés par la réforme (4,7 milliards d’euros en 2018, après 5,3 milliards en 2017), alors même que leur taux d’imposition a de facto été plus fortement réduit que les dividendes.
Chaque année, les dividendes – hors PEA, hors assurance-vie et hors sociétés soumises à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) – sont concentrés sur un petit nombre de foyers. Mais en 2018 ces dividendes ont été encore plus concentrés qu’en 2017 : deux tiers des 23 milliards d’euros ont été reçus par 38 000 foyers (0,1 % des foyers), dont un tiers par 3 800 foyers (0,01 % des foyers), alors que l’année précédente la moitié des 14 milliards avaient été reçus par 38 000 foyers, dont un petit quart par 3 800 foyers.
Entre 2017 et 2018, 20 000 foyers ont vu leurs dividendes augmenter de plus de 100 000 €, pour une hausse totale de 8,6 milliards. Parmi eux, 1 500 foyers ont enregistré une augmentation de plus de 1 million d’euros de leurs dividendes, pour une hausse totale de 4,4 milliards d’euros.
Les foyers ayant bénéficié de fortes hausses de dividendes en 2018 et ceux qui ont enregistré de fortes baisses de dividendes en 2013 sont peu nombreux (environ 25 000 pour chaque catégorie), mais ils sont loin d’être tous les mêmes. Il reste que 3 800 foyers (0,01 % des foyers) ont à la fois enregistré une baisse de plus de 100 000 € de dividendes en 2013 et une hausse de plus de 100 000 € en 2018, en concentrant à eux seuls 12,5 % de la baisse des dividendes de 2013 et 20 % de la hausse de 2018. Chez ces ménages, l’effet de taxation des dividendes sur le montant reçu semble avéré.
Par ailleurs, les plus-values mobilières sont elles aussi très concentrées : 3 800 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 75 % des plus-values de droit commun en 2018, contre 62 % en 2017. C’est moins le cas pour les intérêts reçus : 38 000 foyers concentrent 15 % du total, en 2017 comme en 2018. Les autres revenus (hors dividendes, plus-values et intérêts) progressent également, y compris pour les foyers ayant connu une forte hausse de leurs dividendes.
L’un des objectifs de transformation de l’ISF en IFI est d’aboutir à une réorientation des investissements en faveur des actifs mobiliers. En 2018, en prenant en compte les assujettis à l’ISF détenteurs en 2015 de plus de 3 millions d’euros d’actifs immobiliers, il est observé une augmentation notable du nombre de foyers déclarant une baisse substantielle de leur patrimoine immobilier (11 %, contre 6 % l’année précédente). Dans le même temps, les recettes de l’IFI ont progressé en 2019 (1,56 milliard d’euros, hors contrôle fiscal).
Les chiffres des expatriations et impatriations fiscales
Depuis le passage de l’ISF à l’IFI, il est constaté une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés. Cette évolution porte toutefois sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines.
En 2017, le nombre de départs à l’étranger de redevables à l’ISF a fortement chuté, à moins de 400, soit un niveau inconnu depuis 2005. En 2018, on observe cette fois une division par plus de deux du nombre de départs recensés, à un peu plus de 150. Cependant, ce chiffre n’est pas directement comparable à celui de l’année précédente, car il concerne désormais des redevables à l’IFI. Cette baisse du nombre de départs pourrait ainsi relever d’un effet mécanique, simple reflet de la réduction du nombre d’assujettis à l’impôt sur la fortune avec le passage de l’ISF à l’IFI (de 360 000 à 130 000). Pour autant, cette réduction n’est elle-même pas uniforme avec le niveau de fortune : les ménages les plus fortunés sont beaucoup plus nombreux que les autres à être restés imposables à l’IFI.
La trajectoire des retours de contribuables français fortunés est à la hausse depuis deux ans. Une centaine de retours de contribuables devenus assujettis à l’IFI au 1er janvier 2018 a été enregistrée en 2017. Cette pente ascendante s’est poursuivie en 2018 avec près de 250 retours de contribuables devenus assujettis à l’IFI au 1er janvier 2019.
La suite des travaux du comité
La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 va naturellement avoir un impact important sur le financement de l’économie et sur les choix d’investissement des ménages. À titre d’illustration, le montant de dividendes reçus par les ménages va très probablement s’inscrire en nette baisse en 2020, sans qu’il y ait évidemment de lien entre cette chute et les réformes de 2018.
Cependant, deux projets de recherche sont prévus :
le premier vise à mesurer l’impact de l’ISF sur le tissu productif au cours de la période 2006 à 2018. Il s’agira d’évaluer précisément la contrainte de financement de l’ISF supportée par les entreprises patrimoniales, c’est-à-dire celles qui sont majoritairement détenues par les personnes physiques, et d’identifier l’effet de l’ISF sur les décisions de distribution de dividendes, d’investissement et d’emploi de ces entreprises, ainsi que sur la fréquence de leur transmission à l’intérieur et à l’extérieur des familles fondatrices ;
le second étudiera la réforme de la fiscalité sur les revenus des capitaux mobiliers.
(France Stratégie, comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, rapp. oct. 2020)