Après avoir constaté le dynamisme du crédit immobilier et le rôle, dans cette évolution, d’une dérive progressive mais persistante des conditions d’octroi depuis 2015 et à l’issue d’une consultation publique sur les risques associés à ces évolutions, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a recommandé aux établissements de crédit, en décembre 2019, de respecter certaines bonnes pratiques, à savoir :
s’appuyer principalement sur une appréciation de la solvabilité des emprunteurs et veiller à ce que, de manière habituelle, pas plus d’un tiers des revenus maximum soit consacré au remboursement des dettes (taux d’effort inférieur à 33 %) ;
octroyer des crédits avec une maturité raisonnable (25 ans maximum) afin de permettre aux établissements de prêter à taux fixe tout en maîtrisant le risque de taux sur longue période.
Une flexibilité est accordée à hauteur de 15 % de la production. 75 % de cette flexibilité est réservée à l’acquisition de résidences principales, notamment par des primo-accédants.
Lors de sa séance du 17 décembre 2020, le Haut Conseil a procédé à un premier bilan de la mise en œuvre de la recommandation.
Une production de crédits immobiliers dynamique. Le Haut Conseil a constaté le dynamisme de la production de nouveaux crédits. Après un ralentissement en avril 2020 dans le contexte contraint de pandémie et de confinement, la production (hors rachats et renégociations) a retrouvé cet été un niveau élevé et atteint des seuils historiques en septembre puis en octobre (19,0 Md€ puis 20,2 Md€).
La dynamique actuelle va au-delà d’un seul effet de rattrapage : le niveau mensuel moyen de la production depuis mars (15,2 Md€) reste certes en deçà du niveau exceptionnel de 2019 mais dépasse les niveaux moyens observés en 2017 et 2018.
Ce dynamisme est nourri par le maintien des taux d’intérêt des crédits nouveaux immobiliers à un niveau proche de leurs plus bas historiques, atteints fin 2019. Après une courte période d’une hausse limitée, les taux sont en effet, depuis l’été, à nouveau orientés à la baisse.
Outre cette stabilité des taux d’intérêt des nouveaux crédits sur leurs plus bas niveaux historiques, le développement le plus notable a été l’écart entre les taux d’intérêt des nouveaux crédits (hors renégociations) et les taux d’intérêt des crédits renégociés (43 points de base en avril). Cet écart traduit le fait que les renégociations intervenues au printemps ont plutôt visé un allègement ponctuel de la charge de remboursement.
Ces renégociations, suscitées par une dégradation de la situation financière avérée ou anticipée par les emprunteurs, ont généralement été réalisées sans modification des conditions de taux d’intérêt figurant au contrat.
L’endettement des ménages poursuit sa progression. À fin octobre 2020, le crédit à l’habitat reste très dynamique malgré la conjoncture et continue à croître à un rythme assez élevé (+ 5,5 % en glissement annuel en octobre). Cette croissance reste nettement supérieure à l’évolution observée pour la zone euro dans son ensemble, dans le prolongement de la tendance constatée depuis 2015.
La croissance rapide de l’encours de crédits à l’habitat continue d’alimenter la hausse de l’endettement des ménages, qui atteint près de 100 % du revenu disponible brut mi-2020.
Le marché de l’ancien reste dynamique, tandis que l’atonie de la construction et du neuf persiste. Les développements sur le marché immobilier (neuf et ancien) sont sous-jacents à ces évolutions. Si la crise liée à la pandémie de Covid, et en particulier les deux confinements, ont affecté le marché, il semble que le ralentissement de l’activité du 1er semestre a été pratiquement rattrapé à la fin 2020, tandis que les dynamiques constatées ces dernières années se prolongent.
Sur le marché de l’ancien, après les perturbations liées au confinement, le nombre de transactions s’est redressé et est actuellement équivalent à celui de l’an dernier. Parallèlement, la progression des prix se poursuit, à un rythme toutefois moindre que celui qui prévalait avant la crise sanitaire.
Sur le marché du neuf, la construction est orientée à la baisse depuis fin 2017. La crise sanitaire a probablement exacerbé une tendance de fond tandis que les échéances institutionnelles (élections municipales) ont ouvert une nouvelle phase de concertation préalable au lancement de nouveaux projets.
La situation est moins négative pour les mises en chantier : l’activité se redresse, sans toutefois effacer la perte d’activité du printemps.
S’agissant de la promotion, on observe une baisse des réservations qui, compte tenu d’un faible niveau des stocks et du nombre limité de projets en fin de développement, ne donne toutefois pas lieu à une augmentation du nombre de logements proposés à la vente.
Une adaptation du marché à la recommandation. Selon le Haut Conseil, les informations collectées permettent de constater que le marché a amorcé son adaptation à la recommandation. Dans un contexte où la production reste globalement très résiliente, on observerait, entre le début de l’année et fin octobre, une baisse de la production de crédits présentant un taux d’effort supérieur à 33 % et une baisse de la production de crédits dont la maturité dépasse les 25 ans.
Si ces évolutions suggèrent que les dérives observées ces dernières années s’infléchiraient, il semble toutefois prématuré de conclure sur ce point, les causes de ces évolutions pouvant être nombreuses. En particulier, le contexte économique actuel est, en tant que tel, susceptible de justifier des conditions d’octroi plus prudentes. Les échanges avec les établissements conduisent néanmoins à attribuer à la recommandation une partie de la correction en cours.
Enfin, le Haut Conseil a également examiné les informations à sa disposition permettant de juger des évolutions récentes de la production de crédit par niveau de revenu ou par type d’opération et ne décèle pas d’impact imputable à la recommandation dans les évolutions récentes.
Mise en œuvre et évolutions. Quelques difficultés de mise en œuvre de la recommandation ayant été relevées dans certaines situations et pour certains types de prêts, le Haut Conseil a décidé d’ajuster sa recommandation sur les points suivants :
la recommandation sera précisée pour confirmer qu’elle ne fait pas obstacle aux rachats et renégociations de crédits dès lors qu’ils permettent de réduire le taux d’effort ou la maturité des crédits ; le regroupement de crédits relève de la même logique dès lors que ces crédits ont été octroyés de manière indépendante ;
les différés d’amortissement dans une limite de 2 ans seront pris en compte pour intégrer les spécificités de certaines opérations, notamment les ventes en l’état futur d’achèvement et les contrats de construction de maisons individuelles ;
compte tenu des pratiques constatées sur le calcul du taux d’effort, son mode de calcul fera l’objet de précisions complémentaires et la référence passera de 33 à 35 % ;
la marge de flexibilité sera portée de 15 à 20 % et sera davantage ciblée sur la primo-accession.
Le Haut Conseil adoptera dans les semaines à venir une recommandation ajustée et une notice actualisée, ainsi que, à l’été 2021, une mesure permettant de donner à la recommandation un caractère juridiquement contraignant.
(HCSF, communiqué de presse 17 déc. 2020)